RÉORIENTATION DE BÛCHES FLOTTANTES PAR LES VAGUES
Jean-Luc Dion
Ingénieur
et professeur retraité
Département de Génie électrique et Génie informatique
Université du Québec à Trois-Rivières
Décembre
2019 – janvier 2023
1. Hypothèses
A.
Il est probable qu’en vertu de la loi de production minimale
d’entropie énoncée par Ilya Prigogine, Prix Nobel de Chimie 1977, les bûches
de bois orientées au hasard sur une surface d’eau où se propagent des vagues
parallèles, comme dans la figure 1 vont graduellement se réorienter
parallèlement aux vagues comme dans la figure 2, particulièrement vite si leur
longueur L est comparable à la moitié de la longueur d’onde des vagues λ.
On sait que l’entropie est une grandeur qui mesure le désordre dans un système
physique.
B.
De plus, dans le cas où l’amplitude des vagues est relativement faible, les
bûches devraient dériver lentement dans le sens des vagues à cause d’une
« pression de radiation » analogue à la pression de radiation
acoustique ou à la pression de radiation de la lumière. Toutefois, si la vague
est une grosse déferlante, on sait que les bûches seront momentanément
entraînées à la vitesse de la vague avant qu’elle s’écrase.
C.
Les bûches devraient aussi graduellement se rapprocher et former un
groupe compact qui dérivera dans le sens des vagues.
D.
Dans le cas où l’on produit des vagues stationnaires parallèles entre
deux grandes surfaces planes, les buches initialement orientées au hasard
doivent graduellement se regrouper dans le nœud des vagues et s’aligner
parallèlement à celles-ci (figure 3).
NOTE : Ces
hypothèses sont inspirées par mes travaux antérieurs sur la réorientation des
cristaux liquides par un champ ultrasonique ([1]).
2. La loi de production minimale d’entropie
La loi ou théorème de production
minimale d’entropie formulé par Ilya Prigogine peut s’énoncer comme suit [[2]]:
« Tout système physique évolue
naturellement d’une façon telle que le taux d’augmentation de son entropie soit
minimal. »
On sait que l’entropie est une mesure du désordre dans un
système physique. Par exemple, quand on chauffe de l’eau, son entropie augmente
avec l’agitation moléculaire.
D’autre part, si on fournit par exemple de l’énergie par un
faisceau laser à une petite sphère suspendue, on sait que sa température
s’élèvera de façon exponentielle pour atteindre finalement une certaine
température, supérieure à celle de la pièce. Or, d’après le théorème ou loi de
production minimale de Prigogine, le taux d’augmentation de son entropie sera
en tout temps minimal, pour finalement atteindre zéro à l’équilibre des
températures. La sphère sera alors dans un état dit de « non
équilibre », car si on coupe le faisceau l’équilibre sera rompu et sa
température reviendra à la valeur initiale. Il faut noter que tout être
vivant est dans un état de non équilibre selon Prigogine, car si on coupe
son alimentation en énergie il mourra… On devine que cette loi méconnue est
absolument fondamentale dans le fonctionnement de la Nature et s’applique à
tous les êtres vivants. Dans une des publications de Prigogine [[3]]
elle s’énonce comme suit où S est l’entropie, t le temps et Xi
une variable dont dépend le taux d’augmentation d’entropie dS/dt :
3. Les vagues
Une définition : « La surface de la mer présente
généralement une suite indéfinie d'ondulations parallèles presque identiques
qui se propagent de façon sensiblement uniforme vers le rivage. On appelle
houle cet ensemble d'ondulations ou de vagues. La houle est un mouvement
oscillatoire des couches superficielles de l'eau dû au frottement du vent sur
la surface. Plus le vent est fort et plus la distance de frottement sur l'eau
est grande, plus la houle est forte » La déformation de l'interface
(air-mer dans le cas d’une onde de surface) se propage à la vitesse de l'onde.
Les particules d'eau mises en mouvement au passage de l'onde se déplacent avec
une vitesse qui leur est propre, mais restent en moyenne à la même position [[4]].
« L'oscillation des vagues est caractérisée par sa période T, sa longueur d'onde λ, son amplitude A (la moitié de la hauteur ou profondeur P) et sa vitesse de propagation. Ces mouvements correspondent à un transport d'énergie et non de matière. La forme des vagues peut être décrite sous forme sinusoïdale (approximativement), les particules d'eau décrivant des trajectoires circulaires (orbitales) dont le rayon diminue avec la profondeur (théorie de AIRY): au-delà d'une profondeur supérieure à une demie longueur d'onde, l'agitation de l'eau est négligeable. On peut donc définir une limite inférieure d'action des vagues qui est située à quelques dizaines de mètres de profondeur. » En eau profonde, quand la profondeur est supérieure à une longueur d’onde λ, le mouvement des particules d’eau est quasi-circulaire et diminue rapidement vers le fond (fig. 4 et 5) [[5]]
Figure 4
- Mouvement des particules d’eau dans une vague en eau profonde
selon la
théorie de AIRY et déplacement d’une bille de bois.
Figure
5 Mouvement des particules d’eau dans
une vague en eau profonde
selon la théorie de AIRY. Source : https://topex.ucsd.edu/ps/trujillo_waves.pdf
4. Application
Considérons les situations décrites par les figures 1 à 3 reprises ci-dessous. Dans la figure 1, les bûches sont orientées au hasard et oscillent sous l’effet des vagues. Or, par une longue démonstration en hydrodynamique, on pourrait sans doute démontrer que la perte d’énergie des bûches par frottement avec l’eau, et le taux d’augmentation d’entropie du système, sont minimales quand les bûches sont parallèles aux vagues, comme dans la figure 2. Par conséquent, selon le théorème de production minimale d’entropie, les bûches doivent graduellement se réorienter parallèlement aux vagues.
De plus, les vagues comme ondes propageant de l’énergie exercent
une poussée sur les corps flottant qui doivent alors dériver à une certaine
vitesse. Et finalement les bûches se regrouperont en un ilot compact qui dérive
dans le sens des vagues où elles s’entrechoquent, car elles se font ombrage
mutuellement, de sorte que celles à l’arrière sont poussées vers les autres. Ce
rapprochement s’apparente à un phénomène rapporté dans « L’album du
marin » en 1836 [[6]] :
deux navires initialement immobiles et orientés parallèlement aux vagues, assez
près l’un de l’autre, ont tendance à se rapprocher et entrent en collision si
on ne reprend pas le contrôle.
Enfin si les vagues sont stationnaires entre des parois planes
verticales, les bûches se réorienteront parallèlement aux vagues et se regrouperont
aux nœuds d’oscillation où elles seront pratiquement immobiles, comme dans la
figure 3.
Figure
1 Figure
2
Figure
3 – Bûches de bois dans des vagues stationnaires.
5. Proposition de montage pratique
Il est proposé ici de réaliser la démonstration relativement
simple du phénomène décrit plus haut : la réorientation, le déplacement
et le regroupement de bûches ou bâtonnets par des vagues ou ondes parallèles
sur un plan d’eau. On distingue deux cas : celui des ondes progressives et
celui des ondes stationnaires. La loi fondamentale qui décrite plus haut peut
expliquer ce phénomène, et les montages suivants devraient permettre de le
démontrer.
A- Premier cas : ondes progressives
· Réalisation
En pratique, ce phénomène serait sans doute difficile à observer
sur un lac ou sur la mer pour des raisons évidentes. D’une part, on voit
rarement des bûches dispersées à la surface d’un lac comme dans la figure 1
(encore moins sur la mer). Mais cela a dû être observé au temps du flottage du
bois sur nos lacs, mais je n’ai pas pu trouver de photos le démontrant. D’autre
part, il faut avoir des vagues dont les crêtes sont relativement parallèles sur
une grande distance, ce qui n’est pas fréquent. On pourrait imaginer le faire
sur un grand lac d’au moins un ou deux km de rayon, où des bateaux à moteur qui
se suivent et font l’aller-retour pourraient créer un système de vagues
parallèles requis pour la démonstration.
Une façon simple d’observer le phénomène à l’échelle d’un
laboratoire est montré dans la figure 4 qui représente un bassin d'une longueur d'environ 150 cm contenant de
l’eau d’une épaisseur de 5 à 6 cm, parcouru
par des vagues périodiques produite par une barre rigide A oscillant à la
fréquence f. En pratique, le bassin sera plus long que large. Un absorbeur B
décrit plus bas empêche la réflexion des vagues pour avoir seulement des ondes
progressives. Le cas des ondes stationnaires fait suite. En guise de bûche, on
utilisera des allumettes de bois dont le bout soufré est enlevé. On peut de
préférence découper des bûchettes dans des tiges de bois d’un diamètre de 3 à 4 mm, d’une
longueur d’environ 40 mm : elles seront plus visibles que des allumettes…
Graduellement les bûchette doivent se réorienter comme dans la figure 5 et se
déplacer vers l’absorbeur B où elle se regrouperont.
Figure 4 Figure 5
La figure 6 montre schématiquement le bassin en coupe verticale,
non à l’échelle. Une longueur L d’environ 1,5 m et une largeur de 50 cm
doivent être convenables. La barre oscillante doit être assez rigide et pivoter
autour de la ligne C. Une façon de l’actionner est montrée plus bas. Le fond du
bassin est de préférence une plaque de
verre, ce qui permet divers modes d’observation.
L’absorbeur qui empêche la réflexion des ondes est de préférence une lame de
caoutchouc-mousse plane de la largeur du bassin, avec une longueur d
d’environ 30 cm, disposée tel qu’indiqué en 6-b.
Figure 6
La figure 7 montre une façon de faire osciller la planchette P qui produit des vagues. On peut utiliser un haut-parleur HP qui reproduit les sons de très basse fréquence au centre duquel on colle une tige souple T reliée au milieu de la planchette. Le HP étant relié à un générateur de courant sinusoïdal avec amplificateur doit pouvoir osciller à une fréquence de 5 à 10 Hz, avec une amplitude de quelques millimètres. De préférence, le haut-parleur devrait être fixé au bassin pour simplifier les réglages. La planchette doit être suffisamment rigide de façon que tous les points d’une ligne horizontale se déplacent également.
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B. Deuxième cas : ondes stationnaires
· Réalisation
Pour produire des vagues ou ondes stationnaires, on utilisera la
configuration de la figure 6-a où il n’y a pas d’absorbeur en B, de sorte qu’il
y a réflexion quasi-totale. Pour qu’il se produise des ondes bien
stationnaires, avec une couche d’eau d’environ 6 cm, et une longueur d’onde de
4 cm, il faut régler la fréquence au voisinage de 6,7 Hz comme il est
démontré plus bas, la vitesse de propagation étant d’environ 27 cm/s (voir les
calculs plus bas). On doit alors observer que les bûchettes vont graduellement
s’orienter parallèlement aux ondes stationnaires et se placer aux nœuds de
vibration.
Si le bassin a une longueur L d’environ 1,5 mètres, le temps
d’aller-retour d’une onde est à peu près de 11 secondes. C’est
approximativement le temps d’attente entre deux changements de fréquence pour
trouver la bonne valeur, celle qui donnera un maximum d’amplitude A après
quelques essais.
Figure 7 – Bûches de bois dans des vagues stationnaires.
Selon Prigogine, le système dont nous discutons ici est une structure
dissipative : un système qui se maintient dans son état quand
on lui fournit de l’énergie, ici au moyen de la planchette oscillante. Dès
qu’on cesse de lui fournir de l’énergie il s’effondre. On pourrait démontrer
par des calculs en hydrodynamique que les pertes d’énergie dans ce système sont
minimales quand les bûchettes sont parallèles aux vagues : le taux
d’augmentation de l’entropie est alors minimal. Fondamentalement, tous les
êtres vivants sont des structures dissipatives : ils meurent quand ils
n’ont plus de source d’énergie…
8. Calculs
Afin de préparer efficacement une démonstration, il est très
utile de connaitre la vitesse de propagation des ondes ou vagues sur l’eau dans
ce cas où la profondeur de l’eau est voisine de 6 cm.
Dans cette référence, : « Des
ondes à la surface de l’eau : une histoire qui fait des vagues ! », on
trouve cette expression utile [[7]]:
g : accélération de la pesanteur (9,81m/s2 )
λ : longueur d’onde (m)
A : coefficient de tension superficielle
(A = 0,072 N.m-1 à
20°C dans le cas de l’interface eau-air)
ρ : masse volumique de l’eau (998 g/L = 998 kg/m3
à 22oC)
H : profondeur de l’eau (m)
C : vitesse de propagation de l’onde (m/s)
Posons : H = 0,06 m;
λ = 0,04 m; A = 0,072 N.m-1; ρ = 998 kg m-1
Alors: c2 =
(0,0624 + 0,01133) x 1 = 0,07373,
d’où c =
0,271 m/s = 27,1 cm/s
La relation entre la fréquence f, la longueur d’onde et la
vitesse de propagation étant λ f = c,
la fréquence requise est alors : f
= 6,79 Hz, environ 6,8 oscillations de la lame par seconde.
RÉFÉRENCES
Cette suggestion est inspirée de mes travaux dans le domaine des
ondes et des vibrations, particulièrement de ceux-ci :
·
L’effet d’orientation des ultrasons sur les
cristaux liquides. Principales publications :
* DION, J.L. et JACOB, A., « A new
hypothesis on ultrasonic interaction with a nematic liquid crys-tal », Applied
Physics Letters, v. 31, nº 8 (1977), 490-493.
*
DION, Jean-Luc, « Un nouvel effet des ultrasons sur l’orientation d’un cristal
liquide », Comptes Rendus, Académie des Sciences (Paris), tome 284
(1977), 219-222, note présentée par le Pr Alfred Kastler, Prix Nobel de
Physique.
· Le
regroupement et la réorientation des fibres de pâte à papier en suspension dans
l’eau par un champ acoustique ultrasonore.
·
* BRODEUR, P., DION, J.L., GARCEAU, J.J.,
PELLETIER, G. et MASSICOTTE, D., « Short fibre characterization in a stationary
ultrasonic field », IEEE Trans. Ultrasonics, Ferroelectrics & Freq.
Control, v. 36, nº 5 (1989), p.
549-553.
*
DION, J.L., BRODEUR, P., GARCEAU, J.J. et CHEN, R., « Caractérisation
acousto-optique des fibres: nouveaux résultats », J. Pulp & Paper Science,
vol. 14, nº 6 (1988), p. J141-J144.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Casimir
https://buks.net.technion.ac.il/files/2012/08/Buks_119.pdf
L’album du Marin, par P.C. Caussé, 1836, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6325558z.r=Album%20du%20marin%20Causs%C3%A9?rk=21459;2
[1] DION, Jean-Luc, « The orienting action
of ultrasound on liquid crystals related to the theorem of minimum entropy
production », Journal of Applied Physics, v. 50, nº 4 (1979),
2965-1966.
[2] « Ce théorème est mentionné dans La
Nouvelle Alliance (Prigogine, Stengers, 1979, 152), mais il
n’y est pas précisé que c’est Prigogine lui-même qui l’a établi, dans sa thèse
d’agrégation de l’enseignement supérieur de l’Université libre de Bruxelles,
intitulée Étude thermodynamique des
phénomènes irréversibles, soutenue en 1945, et publiée
en 1947 (Prigogine, 1947). »
Source : https://journals.openedition.org/rhsh/553
« Introduction à la thermodynamique des
processus irréversibles »,
I. PRIGOGINE (Dunod, Paris 1968.
[3]
« Introduction à la
thermodynamique des processus irréversibles », I. PRIGOGINE (Dunod, Paris 1968.
[4] La houle - http://jean-marc.charel.pagesperso-orange.fr/courants/oceanhoule.htm
[5]
Les vagues de l’océan - http://lesvaguesmouilles.e-monsite.com/pages/le-voyage-de-la-vague/le-mouvements-des-particules-d-eaux.html
[6] https://www.larecherche.fr/pourquoi-deux-bateaux-naviguant-sur-des-trajectoires-parall%C3%A8les-finissent-ils-par-se-rencontrer
« L’Album
du Marin », P.C. Caussé : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6325558z/f7.item.texteImage#
« C’est quoi l’effet Casimir ?» : https://couleur-science.eu/?d=d54984--cest-quoi-leffet-casimir
[7] Étude expérimentale de la propagation d’un train d’ondes périodiques à la surface de l’eau, Jean Baurand, J. Phys. Radium Année : 1936
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