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mercredi 21 décembre 2022

LES CHANTIERS DE L’AVENIR

LES CHANTIERS DE L’AVENIR

Un projet pour ouvrir l’esprit, régénérer nos forêts
Et donner de l’espoir aux jeunes québécois
De toutes conditions et de toutes origines

Jean-Luc DION
Professeur et ingénieur retraité - UQTR

Les éléments de base de ce projet avaient été présentés par l’auteur à la Commission Mauricie – Bois-Francs sur l’avenir du Québec, à Louiseville, en février 1995…

Publié dans L'ACTION NATIONALE
Oct., nov. 2022  -  vol. 112, numéros 8 et 9

20 septembre 2022 

INTRODUCTION

    Sans projets structurants pour l’avenir qui suscite un grand intérêt pour la majorité des Québécois, des projets qui pourront donner des résultats vraiment significatifs, il est peu probable que la population soit sérieusement convaincue de la nécessité de l’indépendance. C’est ce qu’on peut dégager de la faiblesse des appuis manifestée dans les sondages depuis une vingtaine d’années.

    Or, la réalisation du projet ici décrit pourrait permettre d’atteindre simultanément au moins deux objectifs marquants :

Ø  Réunir dans une activité stimulante et productive des jeunes de tous les milieux, particulièrement ceux de nos grandes villes qui sont sous-scolarisés, désœuvrés, désorientés, qui pourront prendre conscience de leurs possibilités en faisant un travail productif, tout en découvrant les vastes ressources du Québec et créant des liens avec des compatriotes de toutes les régions.

Ø  Donner naissance à une véritable régénération et appropriation de nos forêts dans toutes les régions du Québec dont pourront bénéficier nos descendants.

CONSTATATIONS

Ø  Nos forêts sont largement devenues improductives et délabrées par la surexploitation qu’on en fait depuis des décennies, sinon des siècles. Les affreuses « coupes à blanc » plus récemment, et surtout l’absence de véritables pratiques sylvicoles à grande échelle dont ne se soucient pas les exploitant actuels qui veulent toujours plus d’ouverture vers les territoires protégés, afin de raser de nouvelles forêts. On ne trouve pratiquement plus de beaux arbres dont la taille permette une exploitation rentable à long terme. Des espèces comme le pin rouge et le chêne blanc sont pratiquement disparues et ne peuvent plus être vraiment utilisées.

Ø  En beaucoup d'endroits, particulièrement dans les forêts de résineux, les arbres sont beaucoup trop rapprochés, parce que non cultivés, de sorte qu’ils n’ont aucune chance de grossir et grandir. Actuellement, on rase des forêts d’arbres beaucoup trop petits avec des machines monstrueuses, au lieu de faire une coupe sélective avec de petites machines qui permettrait aux arbres de grandir et d’être récoltés avantageusement et indéfiniment après quelques décennies.

Ø  La récupération des déchets de matière ligneuse en grande quantité peut être à la base d'une nouvelle industrie chimique produisant non seulement du papier, mais une foule d’autres dérivés utiles et moins polluants.

Ø  Une trop grande proportion de nos jeunes, en plus d’avoir des déficiences en culture générale, semblent avoir souvent été mal orientés au cours de leurs études secondaires. Malgré leurs efforts, les services d’orientation de nos écoles ratent parfois l’objectif essentiel : faire en sorte que les jeunes choisissent une voie dans laquelle ils pourront développer leurs talents au maximum, en étant heureux, responsables et utiles à la société. Cette proportion est considérablement plus élevée pour les jeunes provenant de milieux défavorisés. Leur a-t-on suffisamment répété qu’il est parfaitement honorable et valorisant d'être un bon menuisier, un bon mécanicien, un bon pâtissier, etc. Tous les hommes et toutes les femmes ont un talent particulier et devraient normalement trouver beaucoup de satisfaction et de bien-être dans le travail bien fait, quel qu'il soit. C'est une vérité élémentaire qui semble souvent oubliée. Trop de jeunes Québécois, par un effet d'entraînement, se sont engouffrés dans des études et des formations pour lesquelles ils n'avaient pas les aptitudes et ont accumulé les déceptions et les échecs. Pourtant, la plupart avaient certainement des talents divers qu'ils auraient dû normalement utiliser pour se forger une carrière honorable et valorisante. Ils doivent aussi avoir une chance de reprendre des études supérieures s’ils en ont le talent.

Ø  Ces adolescents ne possèdent souvent aucun entraînement à un travail quelconque et n’ont qu’une vague idée des exigences d’un milieu de travail moderne. Leur avenir est bloqué à toutes fins pratique. Il est scandaleux de laisser tant de talents se gaspiller depuis si longtemps. L'oisiveté détruit l'homme, c'est bien connu. Les conséquences de ces échecs sont indiscutablement néfastes pour la nation. Sans parler de l’influence anglo-américaine délétère dans divers domaines qui influencent la jeune génération, particulièrement sur les réseaux sociaux…

Ø  Les jeunes Québécois connaissent généralement mal les diverses régions du Québec et les ressources inouïes de notre territoire. De plus, ces jeunes ont trop rarement l’occasion de se rencontrer et d’échanger leurs idées, particulièrement avec ceux des peuples autochtones.

Ø  Les milliards de dollars consacrés annuellement à l'assurance chômage et à la sécurité sociale sont souvent improductifs, et ont parfois des effets pervers sur certaines personnes aptes au travail.

NATURE DU PROJET

    Il s’agit de l’organisation de chantiers forestiers de sylviculture intensive dans nos forêts publiques, du printemps à l’automne, particulièrement mais non exclusivement, pour les jeunes chômeurs, chômeuses et assistés sociaux des grandes villes, leur permettant d’acquérir une formation au travail tout en découvrant notre magnifique territoire et une nature qu’ils ignoraient, en contribuant à réparer les dégâts d’une imprévoyance séculaire en ce qui concerne nos forêts publiques. La participation de jeunes Autochtones facilitera certainement cette découverte et les relations fraternelles. Il s'agit d'une réappropriation de nos forêts publiques et d'un investissement massif dans notre avenir économique, tout en apportant une solution à un problème social de première importance. Ce projet pourrait même être élargi et transformé en un service civique pour tous les jeunes citoyens, dans la perspective d’une société qui se soucie d’établir des règles de vie en harmonie pour le bien commun.

OBJECTIFS

Ø  Utiliser d'une façon constructive les fonds publics consacrés à l'aide aux chômeurs et à la sécurité sociale en général.

Ø  Redonner l'espoir aux Québécois qui se gaspillent dans l'inactivité, par un travail communautaire valorisant et rétribué, pendant une période limitée dans un milieu différent de leur milieu habituel.

Ø Donner l'occasion à des dizaines de milliers de jeunes Québécois et Québécoise, ainsi qu’à de jeunes immigrés, de découvrir les immenses ressources notre si beau territoire, de mieux se connaître et de créer des liens dans le cadre de travaux d'équipe valorisants qui seront un investissement dans leur avenir.

Ø  Leur permettre de vivre une période intense de travail productif, de formation et de réflexion. Leur faire découvrir les joies du travail dans la nature. Normalement, au cours d'un tel stage, la plupart devraient trouver une nouvelle motivation à faire les efforts qui s'imposent pour régler leurs problèmes, trouver les idées et l'information qui leur permettent de réorienter efficacement leur vie. Leur donner une occasion de mettre en valeur leurs qualités d’organisateurs et de chefs d’équipe.

Ø  Donner à plusieurs la possibilité de se refaire une santé, de se dégager de l’emprise de l’alcool et de la drogue, de prendre de saines habitudes de vie et de bonne alimentation.

Ø  Développer l'amour du patrimoine et la solidarité nationale des Québécois de toutes origines. Actuellement, les habitants du Québec sont divisés par toutes sortes de barrières: l'école, le statut social, l'origine ethnique, la religion, la langue, etc. Il importe au plus haut point de mettre ensemble tous ces Québécois dans un milieu propice, afin qu'ils découvrent finalement un vouloir-vivre collectif.

Ø  Réaliser des travaux de sylviculture à grande échelle dans des territoires désignés afin de régénérer nos forêts, accélérer la croissance des arbres et nous assurer des réserves de bois de diverses essences de très haute qualité pour l'avenir. Il s’agit largement de couper une bonne partie des petits arbres pour permettre aux autres de grossir plus rapidement et de nettoyer la forêt selon des directives professionnelles.

Ø  Développer l'aptitude à comprendre la nécessité de travaux à long terme, sans rentabilité immédiate pour assurer l'avenir d'une nation sur un territoire.

DESCRIPTION

    Le secteur forestier doit être prioritaire du fait que la forêt une de nos plus importantes ressources naturelles, et qu'elle est renouvelable indéfiniment si on le veut. D'autres secteurs peuvent être considérés, mais peu permettent de mobiliser autant de personnes simultanément avec des effets perceptibles à court et à moyen termes.

    Les forêts à nettoyer et cultiver doivent être désignées par nos plus grands experts dans le domaine, en fonction de critères reconnus par tous. L'équipement utilisé doit être du type léger: on doit favoriser largement le travail manuel et ne pas investir dans un équipement mécanisé importé et coûteux.

    Un chantier pourrait être composé d'une moyenne d’une centaine de personnes, incluant les divers professionnels, avec des camps séparés pour les garçons et les filles. Dans une première phase ou projet-pilote de deux ans, on pourrait prévoir l'organisation à court terme de deux chantiers dans des forêts de la rive nord du St-Laurent dans des forêts de résineux, et deux chantiers sur la rive sud dans les bois francs. On fera suivre d'une évaluation approfondie en vue de la poursuite dans toutes les régions du Québec. Considérant le nombre actuel de chômeurs et d'assistés sociaux, il faudra probablement multiplier cet effort rapidement.

    Ces chantiers pourraient normalement fonctionner du début mai à la fin octobre. Mais une partie pourrait fort bien fonctionner à l'année longue. La journée de travail pourrait être de 6,5 à 7,5 heures selon le nombre d'activités de formation et loisir organisées. On fournira une bonne alimentation, saine et abondante: on en fera une matière de formation (mens sana in corpore sano...). Le logement sera simple, mais confortable.

    On incitera toutes les personnes aptes au travail, assistés sociaux et chômeurs, à participer à ces chantiers, dans la perspective d'une réinsertion à court terme dans la société active. On devra aussi incorporer des jeunes qui réussissent bien dans la vie pour leur bénéfice mutuel. Il faut évidemment une sérieuse incitation monétaire: par exemple, ceux qui participeront seront nourris et logés pendant leur stage, tout en recevant une généreuse allocation leur permettant de faire des économies. Les vêtements et chaussures de travail pourraient être fournis suivant des normes à établir. Par contre, ceux qui refuseraient ne recevraient plus qu’une fraction de l'allocation habituelle. D'autre part, ceux qui sont vraiment inaptes au travail continueront d'avoir droit à des allocations leur permettant de vivre dignement.

    La durée normale d'un séjour dans un chantier devrait être d'une période de 5 à 6 mois, à la fin de laquelle un encadrement efficace devrait être proposé aux stagiaires, avec une rémunération minimale, pour les aider à trouver une nouvelle activité valorisante. Ils pourraient aussi bénéficier d’une deuxième et troisième période selon des critères à préciser.

    On mettra à contribution tous les secteurs de notre société pour organiser une grande variété d'activités de formation et d'activités de loisir : des conférences, des entrevues avec des chefs de files, des jeux, des sports organisés, etc...

    La matière ligneuse récupérée ainsi en très grandes quantités d'une façon régulière peut être transformée en divers sous-produits: papier et carton, matériaux de chauffage (briquettes), alcools, etc. La récupération et le sarclage seront faits conformément aux directives de professionnels de la forêt.

    Il ne s'agit aucunement d'un projet visant à procurer de la main d'œuvre à bon marché à qui que ce soit.

MOYENS

Ø  Le financement proviendra essentiellement d'une nouvelle allocation des crédits de l'assurance-chômage, de la sécurité sociale, des ressources naturelles, etc. Il devrait être facile, pour des économistes et des gestionnaires, d'en démontrer la rentabilité économique par rapport au laisser-aller et au délabrement actuel dont les effets sont désastreux.

Ø  La réalisation et le bon fonctionnement de ce projet devra mettre à contribution l’expertise et les ressources de plusieurs ministères de l’État du Québec comme les suivants prioritairement :

  • Le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
  • Le Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale.
  • Le Ministère de l'Économie et de l'Innovation.
  • Le Ministère de l’Agriculture, environnement et ressources naturelles.

Les suivants pourraient éventuellement y contribuer de diverses façons
pour de la formation et de l’information :

  • Le Ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles
  • Le Ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
  • Le Ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration : en lien avec la participation de jeunes immigrés et immigrées aux Chantiers.
  • Le Ministère des Finances…

Ø  On devra développer un intéressement des entreprises privées, surtout des entreprises industrielles, auxquelles ce projet devrait profiter du fait que les travailleurs issus de ce programme devraient être plus motivés, plus habiles, plus efficaces, mieux formés, etc.

Ø  La clé du succès de cette opération: une organisation à toute épreuve, mettant à contribution toutes les compétences dont nous disposons. Il faut du personnel d’encadrement hautement qualifié, trié sur le volet et surtout très motivé et bien entraîné. Ce personnel comptera pour moins de 10% de la population d’un chantier et participera évidemment aux travaux sur le terrain.

Ø  Les chantiers doivent disposer d’un personnel dans une variété de secteurs: des contremaîtres forestiers d’expérience, de bons cuisiniers, des enseignants dans divers domaines, des organisateurs de loisirs divers: sports, concerts, récitals, théâtre, ateliers de peinture, de sculpture, etc., etc...

Ø  On pourra mettre éventuellement à contribution les militaires québécois pour l’organisation matérielle des chantiers (baraquements, tentes, groupes électrogènes, etc.), l’organisation d’un bon entraînement physique: enfin une armée pourrait servir à un objectif civil valorisant ([2]). Une fraction du temps pourrait être consacrée à un entraînement de défense civile de base pour tous.

Ø  On organisera des tournées d’artistes dans les chantiers, des tournées de conférences par toutes sortes de spécialistes du monde de l'enseignement, de l'industrie, des spectacles, récitals, etc. On favorisera la projection de bons films choisis parmi les meilleurs, surtout québécois, français, européens et autres, dans un répertoire essentiellement non violent (nos écrans sont saturés de films américains, le plus souvent très violents).

Ø  On invitera l’entreprise privée à contribuer : encadrement technique pour la coupe du bois et la récupération, prêt d'experts de toutes sortes pour l'organisation d'activités de formation théorique et pratique, etc.

CONCLUSION

    On a présenté ici les grandes lignes d'un projet qui pourrait permettre d'atteindre simultanément plusieurs objectifs sociaux et économiques de grande valeur, un projet permettant à un nombre considérable de Québécois de retrouver l'espoir, tout en investissant massivement dans la culture de la forêt, notre grande ressource renouvelable, pour préparer un avenir prospère.

    Il s'agit bien sûr d'une ébauche et il faudrait évidemment développer ce projet et en étudier toutes les implications. Il faut espérer qu'il suscite suffisamment d'intérêt pour qu'il soit rapidement étudié à son mérite.

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[1]    Ingénieur, professeur titulaire retraité et chercheur du département de Génie électrique et Génie informatique de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

 [2]    L'éventuelle armée du Québec devrait être formée d'un strict minimum d'effectifs permanents et d'équipement, à l'image de celle de la Suisse. La meilleure protection d'un pays est une population pleinement responsable, prête à défendre sa liberté par tous les moyens, avec des armes légères qui lui seront confiées dans le cadre d'une défense civile bien organisée.