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mercredi 27 janvier 2021

L'AVENTURE DU MAÇON DE GRENADE

 L'AVENTURE DU MAÇON DE GRENADE

Washington Irving

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    Certains livres vieillissent; d'autres conservent leur fraîcheur intacte à travers le temps. C'est le cas des CONTES DE L'ALHAMBRA, écrits par Washington Irving, diplomate, historien et voyageur américain, qui vécut quelque temps dans l'Alhambra même. L'oeuvre, éditée pour la première fois en 1832, fut aussitôt traduite en plusieurs langues et attira à Grenade des pélerins de toutes les latitudes. Nous y découvrons une perspective, une couleur et une ambiance romantiques, ainsi que de subtiles impressions prises sur le vif, pleines de nuances, d'esprit et d'émotion. Nous y trouvons d'une part les légendes et les traditions locales qui gardent leur charme d'hier, et d'autre part le tableau sobrement réaliste de l'Alhambra du siècle dernier si vivant, si réel: hommes et femmes du peuple, soldats invalides, mendiants. Et peut-être ces pages sont-elles les plus riches de suggestion.

 Souvenir d’une mémorable visite à l’Alhambra en compagnie
de ma première épouse Michelle, le 5 mai 2006. Le livre a été acheté sur place.

 

  


    Il y avait un jour à Grenade un pauvre maçon, ou briqueteur, qui observait toutes les fêtes des saints, jusques et y compris Saint Lundi; et pourtant, malgré toute sa dévotion, il devenait chaque jour plus pauvre et pouvait à peine acheter du pain pour sa nombreuse famille. Une nuit, il fut tiré de son premier sommeil par un coup frappé à sa porte. Il ouvrit et aperçut devant lui un long prêtre décharné, de mine cadavérique.

—Ecoute, mon brave, lui dit l'inconnu; j'ai remarqué que tu es un bon chrétien, à qui on peut se fier; veux-tu entreprendre un travail pour moi cette nuit même?

—De tout coeur, señor padre, à condition toutefois que je sois payé en conséquence.

—Tu le seras; mais il faudra que tu te laisses bander les yeux.

    Le maçon ne s'y opposa pas. Il fut donc conduit, les yeux bandés, par des sentiers raboteux et des passages tortueux, jusqu'à la porte d'une maison. Le prêtre y appliqua la clé, qui fit grincer la serrure, et ouvrit un battant qui parut très massif au maçon. Ils entrèrent, la porte fut fermée et verrouillée et notre homme fut mené par un couloir sonore et une salle spacieuse à l'intérieur de la maison. Là, le bandage ôté, il se trouva dans un patio faiblement éclairé par une seule lampe.

    Au centre, on voyait le bassin à sec d'une vieille fontaine mauresque, sous laquelle le prêtre lui demanda de bâtir une petite voûte avec les briques et le ciment qui étaient préparés à son intention. Il travailla toute la nuit, mais ne put achever son oeuvre. Peu avant l'aube, le prêtre lui mit une pièce d'or dans la main et l'ayant de nouveau bandé, le reconduisit à sa demeure.

—Consens-tu à revenir achever ton travail? lui demanda-t-il.

—Volontiers, señor padre, à condition que je sois aussi bien payé.

—Eh bien, demain à minuit je t'appellerai de nouveau. C'est ce qu'il fit et la voûte fut achevée.

—Maintenant, lui dit le prêtre, il faut que tu m'aides à transporter les corps que je dois ensevelir dans cette voûte.

    À ces mots, notre pauvre maçon sentit ses cheveux se hérisser sur sa tête: il suivit le prêtre, d'un pas chancelant, dans une pièce écartée de la maison, s'attendant à un affreux spectacle; mais quel ne fut pas son soulagement lorsqu'il aperçut, à la place, trois ou quatre jarres imposantes dans un coin. Elles étaient manifestement bourrées d'argent et c'est à grand-peine que le prêtre et lui purent les pousser et les loger dans leur tombe. La voûte fut fermée alors et toutes traces d'ouvrage effacées. Le maçon eut de nouveau les yeux bandés et fut reconduit par un chemin différent de celui qu'ils avaient pris. Après avoir longtemps erré dans un inextricable entrelacs de ruelles et de sentiers, ils s'arrêtèrent. Le prêtre lui mit deux pièces d'or dans la main et lui dit: «Reste ici jusqu'au moment où tu entendras les matines sonner à la cathédrale. Si tu oses te découvrir les yeux avant, un malheur t'attend.» Et sur ces mots, il le quitta. Le maçon attendit fidèlement; il trompa le temps en soupesant le deux pièces et en les faisant tinter l'une contre l'autre. Lorsque la cloche du matin fit retentir son premier carillon, il découvrit ses yeux et vit qu'il était sur les bords du Génil; il se hâta de rentrer chez lui et, sur le salaire de ses deux nuits de travail, fit bombance avec sa famille pendant une bonne quinzaine—après quoi, il se retrouva pauvre comme devant.

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    Il continua à vivre comme naguère, travaillant peu, priant beaucoup, observant dimanches et fêtes de saints, année après année, tant et si bien que sa famille devint aussi famélique et déguenillée qu'une tribu de gitans. Un soir, comme il était assis à la porte de sa masure, il fut accosté par un vieillard aussi riche que pingre, que l'on savait possesseur de plusieurs immeubles et propriétaire exigeant. Le bourgeois observa notre homme dessous ses sourcils broussailleux et inquisiteurs.

On me dit, mon ami, que tu es bien pauvre. —Pas moyen de le nier, sefior, cela saute aux yeux.

—Je présume donc que tu serais heureux d'avoir du travail et que tu le ferais pour pas cher.

Pour moins cher, señor, que n'importe quel maçon de Grenade.

—C'est ce qu'il me faut. J'ai une vieille maison qui tombe en ruines et qui me coûte plus d'argent qu'elle ne vaut pour la réparer, car personne ne veut y vivre; c'est pourquoi je dois m'arranger pour la retaper au plus bas prix possible.

Le maçon fut donc conduit à une grande maison abandonnée qui semblait sur le point de crouler. Il passa par diverses salles vides et entra dans une cour où son regard fut aussitôt arrêté par une vieille fontaine mauresque. Il s'arrêta un moment car le souvenir de ce lieu lui revenait comme un rêve.

—S'il vous plait, fit-il, qui donc occupait cette maison? —Peste soit de lui! s'écria le propriétaire. C'était un vieux prêtre avare qui ne se préoccupait que de lui. On le disait immensément riche, et, comme il n'avait pas de parents, on pensait qu'il laisserait tous ses trésors à l'Église. Il est mort subitement et les curés et les moines sont venus en foule pour prendre possession de ses richesses; mais ils n'ont trouvé que quelques ducats au fond d'une bourse de cuir. Le plus mauvais lot m'était réservé, car depuis sa mort, le vieux grigou continue à occuper ma maison sans me payer de loyer et il n'y a pas moyen de faire un procès à un mort. Les gens prétendent qu'ils entendent toute la nuit le tintement de l'or dans la chambre où il dormait, comme s'il recomptait son argent, et parfois des plaintes et des gémissements dans la cour. Vraies ou fausses, ces histoires portent préjudice à ma maison et personne ne veut y mettre les pieds.

—Ne m'en dites pas plus, répondit le maçon avec un accent plein de fermeté; laissez-moi vivre dans votre maison sans payer, jusqu'à ce que vous trouviez un meilleur locataire et je m'engage à la réparer et à apaiser l'âme en peine qui la trouble. Je suis pauvre et bon chrétien et le Diable en personne ne me ferait pas peur, quand bien même il m'apparaîtrait sous la forme d'un gros sac d'argent.

    La proposition du brave maçon fut acceptée volontiers; il s'installa avec sa famille dans la maison et remplit tous ses engagements. Peu à peu, l'immeuble fut restauré et si l'argent y tinta, ce ne fut plus la nuit dans la chambre du prêtre défunt, mais le jour dans la poche du maçon vivant. En un mot, il fit rapidement fortune, à la stupéfaction de tous ses voisins, et devint un des hommes les plus riches de Grenade. Il fit des dons importants à l'église, sans doute pour apaiser sa conscience, et ne révéla le secret de la voûte que sur son lit de mort, à son fils et héritier. 








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dimanche 24 janvier 2021

AU-DELÀ DES BELLES PAROLES...

Texte envoyé au quotidien Le Devoir et non publié

Page « Idées »
Montréal

   La rectitude politique qui empêche de dire les choses comme elles sont a sans doute agi contre sa publication, car c'est trop simple et clair... 

Sujet : Texte de Gérard Bouchard du 26 novembre.

Au-delà des belles paroles…

    Dans son texte du 26 novembre 2020 dans Le Devoir, sur le déplorable état de notre langue au Québec, « Le français a besoin d’un redressement radical », monsieur Gérard Bouchard écrit ceci qui est très juste : « Sur le plan civique, une langue commune permet d’unir la diversité, d’établir un rapprochement entre les cultures, de permettre à chaque citoyen de s’intégrer pleinement, de jouir de tous ses droits et de participer à la vie démocratique. Au Québec, cette langue ne peut pas être autre chose que le français. » Certes « Le français a besoin d’un redressement radical » !

    Mais, s’il est louable de l’affirmer, il est beaucoup plus important de préciser les mesures essentielles permettant d’en faire une réalité. Ce qui n’est pas le cas actuellement dans ce qu’on lit et entend…

   Or, l'irresponsabilité et l’incurie de pratiquement tous les gouvernements successifs depuis 1977 ont permis à l'État québécois de pratiquer un bilinguisme intégral, illégal et dévastateur dans presque tous ses services. Ainsi, le message très clair envoyé à tous et particulièrement aux immigrants est qu'il n'est pas nécessaire de connaitre et parler le français au Québec.

   On a vu clairement le résultat désastreux s’amplifier au cours des décennies, particulièrement dans la région métropolitaine, comme de nombreuses statistiques récentes le démontrent. La grande majorité des quelque 50 000 immigrants arrivés chaque année au Québec depuis des dizaines d'années sont allés spontanément et massivement du côté de la minorité d'origine britannique qui représente moins de 7% de la population selon les statistiques fédérales, et leurs enfants ont fait gonfler les cégeps et universités anglophones.

   C'est ainsi que la population étudiante des cégeps et des 3 universités anglophones a grandi hors de proportion et qu'il y a maintenant plus de francophones d'origine au cégep Dawson que de véritables anglophones. Ces universités reçoivent actuellement environ 28% des subventions de fonctionnement de l'État québécois, ce qui représente environ 4 fois ce qu'elles devraient recevoir en toute équité par rapport aux francophones du Québec. Pire, on apprenait récemment que notre gouvernement prévoit investir environ 750 millions de dollars pour agrandir Dawson, agrandir l'Université McGill, et donc accélérer un phénomène déjà présent d'anglicisation des étudiants » ! Et qu'il céderait le site de l'ancien hôpital Royal Victoria à l'université McGill ! Ce qui est une pure aberration dans les circonstances actuelles. Le goût du suicide serait-il viral comme le covid-19 !

    Or, il s'impose que le Québec soit aussi francophone que l'Ontario ou la Colombie Britannique sont anglophones. C'est cela qu'il faut réaliser simplement et pacifiquement car toutes les autres approches sont de funestes illusions enveloppées de verbiage stérile. C'est une question de vie ou de mort culturelle. Ce n'est certainement pas en engageant une cinquantaine de nouveaux inspecteurs de l'Office de la Langue française, comme le gouvernement viendrait de le faire, que le Québec pourra fonctionner normalement en français...

    Comme on peut le lire dans la conclusion de l’article récent de Frédéric Lacroix dans L’Action Nationale : « Si nous choisissons collectivement de continuer à nous fermer les yeux et à ne pas agir, l'anglais va s'établir, probablement définitivement, comme langue commune à Montréal.»

    Il n'y a vraiment qu'un seul moyen efficace dans l’immédiat pour que le Québec soit un territoire et un État francophones qu'on respecte dans l’avenir, considérant que le français est la seule langue officielle et que la réalité le nie. Il s’agit essentiellement d’appliquer la charte de la Langue française comme elle doit l’être. Cela se traduit par la proposition suivante qui est une solution équitable et logique qu’il faut avoir le courage élémentaire d’appliquer:

  • La Charte de la Langue française s’exercera dorénavant comme elle doit l'être et l'État québécois communiquera exclusivement en français avec tous les citoyens, tous les organismes et toutes les entreprises du Québec dans tous les domaines. Cela implique que tous les formulaires soient rédigés en français pour le territoire québécois.

    Considérant que le Québec n’a jamais signé la constitution imposée par le Canada, il n’a donc pas à la considérer, ni les jugements de cour qui ne doivent donc pas être reconnus, ce qui est une grave erreur. Éventuellement, sur une base de respect mutuel, le Québec et le Canada pourront signer des accords de réciprocité dans divers domaines, dont l'éducation pour les groupes minoritaires, respectivement anglophones et francophones.

    En ce qui concerne le financement de ces minorités dans le respect mutuel de nos deux nations, dans un esprit de réciprocité profondément respectueuse, on pourra appliquer la règle suivante à partir d’une période maximale de deux années, laquelle nos fonctionnaires pourront facilement et rapidement appliquer avec les puissants moyens informatiques dont ils disposent.

  • Dorénavant, le Québec financera les institutions d'enseignement de la minorité de langue anglaise dont les arrière-grands-parents étaient anglophones ou issus de pays anglophones dans la même proportion moyenne que le Canada anglais (excluant le Nouveau-Brunswick) financera les institutions d'enseignement de la minorité de langue française dont les arrière-grands-parents étaient francophones ou issus de pays francophones.   

À défaut de réaliser cette dernière, on appliquera l’approche suivante :

  • Dorénavant, le Québec financera les institutions d'enseignement de la minorité de langue anglaise dans la même proportion moyenne que le Canada anglais (excluant le Nouveau-Brunswick) finance les institutions d'enseignement de la minorité francophone.

   Dans un esprit de saine réciprocité entre le Québec et le Canada, il me semble donc impératif de mettre en œuvre une de ces dernières propositions.

Jean-Luc Dion

Ingénieur et professeur retraité
Département de Génie électrique et Génie informatique
Université du Québec à Trois-Rivières

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