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jeudi 19 décembre 2013

POUR SE DISTINGUER AUTREMENT



Pour se distinguer autrement 

Michel RIOUX
L’Aut’Journal
Décembre 2013
L’homme se cramponne à la servitude plus souvent qu’elle ne s’impose à lui.
Sénèque

Si tous les Québécois prenaient connaissance d’une statistique livrée par le sociologue Pierre Drouilly dans sa préface du livre Ce peuple qui ne fut jamais souverain, de Roger et Jean-François Payette, il est fort à parier que bien des choses pourraient changer! Et que dit cette statistique, révélée par une recherche du politologue Jean Laponce ?

Que depuis la Révolution française de 1791, il s’est tenu près de 200 référendums de souveraineté. Or les résultats ont tous été positifs, avec une très forte majorité dans la plupart des cas. Mais il y a deux exceptions : les deux référendums québécois, de 1980 et de 1995. Ce sont en effet les deux seuls cas relevés depuis 222 ans, où un peuple a répondu non quand il a été appelé à se dire oui à lui-même.

Devant l’histoire, cela nous fait une maudite belle jambe ! On pourrait peut- être trouver une meilleure façon pour se distinguer, nous qui nous pétons les bretelles de la société dite distincte.

Les deux auteurs, père et fils, dressent avec une lucidité qui peut devenir douloureuse l’état des lieux et les conséquences de ce qu’ils assimilent à la tentation du suicide politique chez les Québécois.

Aux deux référendums perdus s’ajoute l’échec des Patriotes en 1837. Ces trois événements amènent les Québécois « à se laisser dominer politiquement par une autre nation, les convainc de remettre la richesse qu'ils produisent en des mains étrangères, les persuade de vivre en déshérités du monde en abdiquant collectivement leur responsabilité de collaborer à une humanité qui se fait.  

Cette dépossession se manifeste dans leur renoncement à promouvoir le bien commun et les entraîne à s’illusionner sur les promesses d’un individualisme conformiste, à cultiver la confusion dans leurs choix politiques et à entretenir l’incertitude à leur avenir ».

Un électrochoc, ce livre dont Pierre Drouilly a écrit qu’il « sera une pierre blanche sur le long et laborieux chemin suivi par les Québécois dans leur quête d'eux-mêmes ».
Aux yeux des auteurs, les Québécois se bercent d’illusions en se faisant accroire que leur salut repose sur leurs performances sur la scène culturelle. Si les réussites sont indéniables sur ce plan, elles ne peuvent compenser l’absence d’une réelle prise sur la réalité des choses que seul le pouvoir politique peut apporter.

C’est une certitude clairement énoncée. « Nous aurons beau présenter de notre condition les analyses les plus pénétrantes, créer le théâtre le plus bouleversant, écrire les romans les plus récompensés, rien de toute cette production culturelle ne nous reposera de notre fatigue ni ne nous libérera de notre dépendance si nous ne nous décidons pas à prendre le pourvoir politique », soutiennent les Payette.

Alors que le peuple québécois « est privé du pouvoir politique collectif qui l’a conduit, et le conduit toujours, à hésiter entre la vie et la mort par cette perpétuelle et violente tentation du suicide politique, qui ne peut être pour lui qu’une autre impasse douloureuse », le seul programme politique qui soit recevable consiste à s’assurer une prise sur le réel.

Une prise collective que doit exercer le peuple québécois. Sur son territoire, sur le temps, sur son univers politique, sur ses relations internationales, sur son économie, sur son environnement social, sur sa culture.

La lecture du livre risque d’en conduire certains à désespérer de ce peuple « toujours embourbé dans son provincialisme réducteur ». Mais la condition première à remplir pour assurer cette prise sur le réel, n’est-ce pas d’avoir le courage et d’être capable d’en mesurer la hauteur ?

Ainsi, en dépit de l’accumulation de faits qui constituent autant d’actes manqués dans notre histoire, et des nombreux constats où il serait pour le moins exagéré de soutenir que le courage a été au rendez-vous, force est de constater que l’idée d’indépendance demeure au centre des préoccupations populaires et est toujours vivante, ayant progressé de façon fulgurante depuis 50 ans. Les trois derniers mots du livre sont d’ailleurs une ouverture sur l’avenir : Nous pouvons espérer !

Il ne faudrait surtout pas que Tocqueville finisse par avoir raison, lui qui, dans ses Notes de voyage, écrivait en 1831 : « Cette population nous a paru capable d’être dirigée, mais incapable de se diriger elle-même ». Il faut absolument faire mentir le vicomte.

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mercredi 18 décembre 2013

LE BONHEUR SELON BOUCAR



boucar-diouf

Un beau message de vie

Selon Boucar Diouf

                  Notre biologiste-humoriste...

Tendre la main au voisin

Par Boucar Diouf, biologiste et chroniqueur télé
Source :  Revue Châtelaine 
Mon père est un analphabète amoureux des vaches. Il les surnomme affectueusement « les dieux au museau humide ». Mener ses animaux brouter dans les pâturages a toujours été pour lui une source de plénitude. Aujourd’hui, papa n’est plus capable de se déplacer. Il y a quelques années, il s’est fait amputer le pied droit à cause d’une infection.

Quand j’ai appris la nouvelle, je l’ai appelé de mon bungalow à Longueuil. J’anticipais un immense découragement mais, à mon grand soulagement, à l’autre bout du fil papa m’a dit : « Boucar, pour un inconditionnel des bovidés comme moi, finir sa vie avec un sabot est une forme de bénédiction. De toute façon, après 75 ans passés en Afrique, où l’espérance de vie dépasse rarement les 50 hivernages, je ne peux que remercier le Seigneur de m’avoir accordé autant de temps de prolongation. »

Cette sérénité face à la mort reste à mon avis le critère le plus important quand vient le temps d’évaluer si quelqu’un a réussi ou non sa vie. Dans mon ethnie, pendant les rites d’accompagnement des mourants, il y a cette période qu’on appelle tagasse, qu’on pourrait traduire par « vanter les mérites ». C’est un temps qu’on prend pour rappeler au malade en fin de vie qu’il peut être fier de son passage sur cette Terre, que son empreinte restera gravée dans son village, comme en témoignent tous ses enfants et petits-enfants rassemblés pour l’occasion.

Mon père a apprivoisé la mort parce qu’il a consacré sa vie à sa communauté, à sa foi et, bien sûr, à ses vaches ! C’est une vieille recette qui a fait ses preuves. Le philosophe grec Épicure ne recommandait-il pas de miser sur les plaisirs gratuits pour amoindrir la souffrance humaine ? Si son affirmation est vraie, le culte de la consommation n’est-il pas un obstacle insurmontable pour qui veut voir arriver la mort avec sérénité ? Ma grand-mère disait que le bonheur acheté était aussi volatil qu’un pet de lièvre dans une savane ouverte !

Comme biologiste, je crois que l’être humain a hérité d’une insatisfaction génétique qui le prédispose au malheur. Quand l’homme préhistorique dégustait du lièvre, le lendemain, il voulait de la gazelle et le surlendemain, il essayait de chasser le sanglier. C’est pour ça qu’aujourd’hui une maison plus grande, une célébrité croissante ou de l’argent à jeter par les fenêtres n’y changent rien ; notre corps est programmé pour se lasser et demander autre chose. La recherche constante de nou­veauté a contribué au développement de nos capacités cognitives. Mais autrefois génératrice d’intelligence, l’insatisfaction est devenue notre plus grande malédiction.

Dans la physiologie humaine, le circuit du plaisir et celui de la douleur sont souvent couplés. Par exemple, tomber en amour procure beaucoup de bonheur, mais quand un des partenaires se casse sans avertir, le plaisir cède la place à la douleur chez l’autre. Boire de l’alcool procure aussi une certaine plénitude, mais tous les alcooliques vous diront que le prix à payer est atrocement élevé. Ce système de récompense et de punition m’amène à penser qu’il est physiologiquement impossible de réussir sa vie en misant uniquement sur l’argent et la consommation.

Le psychologue David Myers, du Hope College dans le Michigan, a établi que le pouvoir d’achat moyen des Américains avait triplé depuis 1950. Pourtant le nombre d’Américains qui s’estiment heureux est resté inchangé. Bref, au-delà de ce qu’il faut pour combler les besoins de base de la famille que sont manger, se loger et se soigner, la plus-value apportée par le surplus de pognon sur le bonheur est bien faible. Où se cache alors la solution ?

Quand un bébé venait au monde dans mon village, grand-maman lui souhaitait toujours de la santé et de la compassion pour ses semblables. Un jour, je lui ai demandé pourquoi elle n’ajoutait pas la prospérité et le bonheur dans ses souhaits. Grand-maman m’a répondu : « Les gens qui veulent atteindre le bonheur par les possessions essaient d’éteindre un feu avec de la paille. 

En vérité, il y a trois catégories de personnes heureuses de cette façon. Il y a ceux qui ont tout pour être heureux, mais ne le sont pas souvent. Ceux qui cherchent le bonheur et ne le trouvent pas tout le temps. Enfin, il y a ceux qui disent avoir trouvé le bonheur, mais ne le conservent pas longtemps. Le bonheur, c’est regarder en bas pour mieux apprécier ce qu’on a, mais c’est surtout tendre la main à son voisin et partager ses joies et ses larmes, car en vérité, Boucar, si bonheur il y a sur cette Terre, c’est les autres. 

Alors je ne peux pas souhaiter à un poupon autre chose que de la santé et de la compassion pour ses semblables. Ce sont les deux ingrédients les plus importants pour réussir sa vie. »
 
Aujourd’hui, fort des enseignements de ma grand-mère, je peux affirmer que je chemine tranquillement sur la route qui mène à une vie réussie. J’ai une conjointe et des enfants formidables, ainsi qu’une grande famille avec laquelle je partage mes joies, mes peines et le surplus d’argent que la vie m’a généreusement confié.

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