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mercredi 24 janvier 2018

DÉMOCRATIE, L'URGENCE D'AGIR...

Démocratie, lurgence d’agir… autrement


Jean-Yves Proulx

L’urgence climatique

Il y a eu les COPs de Copenhague, de Kyoto, de Paris, de Bonn : toujours pas de véritable entente. Pourtant « au-delà de cette limite (1,5 °C), les rendements agricoles, donc la sécurité alimentaire, pourraient être compromis, et la hausse du niveau de la mer menacera une partie du littoral (plus de la moitié des 20 plus grandes villes de la planète sont portuaires). Sans aucune politique climatique, les experts sattendent à un réchauffement pouvant atteindre jusqu’à 4,8 °C à la fin du siècle.1

Et on continue à investir massivement dans les énergies fossiles…



L’urgence environnementale

LUnion européenne vient de renouveler pour 5 ans l’autorisation du glyphosate classé
« cancérogène probable » par le CIRC, une agence de lOMS composée de scientifiques internationaux, et ce, malgré les protestations de nombreux scientifiques. Le Canada, dans lindifférence la plus totale, vient d’en renouveler lautorisation pour… 15 ans.

Parallèlement, Marie-Monique Robin publiait Le Monde selon Monsanto, Notre poison quotidien, Le Roundup face à ses juges et André Cicolella, Toxique Planète, pour ne citer que ces deux lanceurs d’alertes qui mettent en évidence la « responsabilité de lindustrichimique dans l’épidémie des maladies chroniques ». Et tout récemment, sortait en Europe le documenaire Demain, tous crétins?2 « ou les dégâts des perturbateurs endocriniens sur le cerveau ».

Lespérance de vie continue de croître, l’espérance de vie sans incapacité, elle, décroît depui20063.

L’urgence économique

Alors qu’on soutient que les États doivent s’attaquer à leur endettement, ces mêmes États diminuent leurs recettes en accordant, budget après budget, des réductions d’impôts aux mieux nantis et aux entreprises en prétendant que cela va créer des emplois. Comment peut-on espérer stimuler la demande en augmentant l’offre, alors qu’on déplore l’endettement limite des ménages ? Pourquoi ne pas stimuler la demande en aidant la classe moyenne et les plus munis ? Ce qui entraînerait de facto, la création d’emploi.

On verse aux grandes entreprises de généreuses subventions, on diminue leurs charges fiscales, on leur facilite l’évasion fiscale en signant des ententes sur la non double imposition avec des paradis fiscaux… Les coffres de lÉtat se vident, entraînant de nouvelles coupes dans les services à la population… jà fort endettée.

  
3    Ouaknine Léon, Les clés du bien-vieillir, Éditions du dauphin, 2017, p. 26


Conséquences : « nous en sommes à 5000 milliards de dollars par jour d’échanges financiers, 115 fois le montant annuel du commerce international réel La valeur boursière a été multipliée par 45 en 30 ans quand le PIB n’était multiplié que par 3,5…»4

En 2016 selon OXFAM, 62 personnes possédaient plus que la moitié de la population de la planète. En 2017, ce nombre est réduit à 85 !

Constats

Qu’ont en commun toutes ces situations ? Les grandes décisions sont prises par une petite minorité : les grands possédants. Et souvent, à l’encontre du bien commun.

Si le peuple (dêmos) tient vraiment le pouvoir (kratos), comment expliquer que ce même peuple participe de moins en moins aux élections ? Que selon World Values Survey… 52,4 % des personnes interrogées ne faisaient que peu ou pas du tout confiance au gouvernement60,3 % au Parlement et 72,8 % aux partis politiques. »6

Mais alors ?
Les citoyens ont une impression de plus en plus nette qu’on les manipule à longueur d’année à l’aide d’« experts » triés sur le volet, de spécialistes de la manipulation que sont devenus nombre de professionnels de la communication et du marketing, financés en cela par des transnationales dont les budgets dépassent maintenant ceux des États.
Pour être élus, les candidats ont besoin de financement. Au lendemain de leur élection ? Ils se retrouvent redevables à ceux qui le leur ont fourni. De leur défaite ? On les retrouve au conseil d’administration des grandes entreprises ou à des postes de lobbyistes auprès de ceux qui les ont remplacés à la direction des États.
Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau écrivait « le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »7
Hugo Bonin nous décrit de façon concise cette mocratie que nous ont léguée les volutions américaine et fraaise du XVIIIe  siècle : «… puisque l’électeur choisit la candidature qu’il estime supérieure aux autres, le régime représentatif repose sur la lection des « meilleurs » pour diriger…  Sachant que la richesse est bien souvent le principal critère de la supériorité d’un individu, on peut aussi être en accord avec Jacques Rancière quand il affirme que nos régimes sont des oligarchies libérales : le pouvoir  est tenu par les plus riches perçus comme supérieurs »8
Pour Francis Dupuis-Déri, dans son livre Démocratie, «… la Révolution française, pas plus que l’américaine, n’a chassé une aristocratie pour la remplacer par une démocratie ; elle a chassé une aristocratie héréditaire pour la remplacer par une aristocratie librement choisie. Une aristocratie élective9»

4    Intervention de Jean-Luc Mélenchon à lAssemblée nationale le 20 octobre 2017
6    David Van Reybrouck, Contre les élections, Actes Sud, 2014, p. 7
7    Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique (1762), Paris : Union Générale dÉditions, 1963, p. 78
8    Bonin Hugo, La démocratie hasardeuse, Les Éditions XYZ inc., 2017, p. 14
9    Van Reybrouck David, Contre les élections, ibid, p. 108


La solution ?

« Pour Aristote, l’élection n’était donc pas incompatible avec la démocratie, mais, prise en elle-même, elle constituait un procédé de type oligarchique ou aristocratique alors que le tirage au sort était, lui, intrinsèquement mocratique. »10

Certaines charges devraient être comblées par tirage au sort selon Jean-Jacques Rousseau, en accord en cela avec Montesquieu11: «… quand le choix et le sort se trouvent mêlés, le premier doit remplir les places qui demandent des talents propres, telles que les emplois militaires, l’autre convient à celles où suffisent le bon sens, la justice, lintégrité, telles que les charges de judicature, parce que, dans un État bien constitué, ces qualités sont communes à tous les citoyens.12»

Ne confions-nous pas le sort d’un accusé à des jurés choisis au hasard ?

En 2004, la Colombie-Britannique chargea un comité composé de 160 citoyens tirés au sort de revoir le système électoral uninominal à un tour. Le résultat de leur libération fut par la suite proposé à la population par référendum.

Gordon Campbell, alors premier ministre, « avait claré que les politiciens ne pouvaient pas élaborer un système électoral sans être en situation de conflit d’intérêts… Selon lui, il revient aux citoyens de décider des règles devant gouverner les élus.Je sais comment les politiciens pensent. La plupart, franchement, vont tenter de trouver un système électoral qui fonctionne à leur avantage.13» Justin Trudeau qui avait promis que l’élection de 2015 serait la dernière tenue sous un système uninominal à un tour ne vient-il pas de lui donner raison14 ?

Et que fait-on pour connaître l’opinion de la population ? Un sondage ! On interroge des citoyens choisis au hasard.

Et si cette pratique du tirage au sort longtemps considérée comme anecdotique, voire farfelue, depuis Athènes au 5e siècle avant notre ère, était en fait la clé de voûte de tout État qui se veut vraiment démocratique ?



Jean-Yves Proulx




10    Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, Paris, 1995, p. 44
11    Charles de Secondat de Montesquieu, De l’esprit des lois, Les classiques des sciences sociales, UQAC, p. 42
12    Jean-Jacques Rousseau, 1762 : Du contrat social ou Principes du droit politique, ibid, p. 91
13    Manon Cornellier, Colombie-Britannique - La démocratie mise à niveau par les citoyens, Le Devoir, 2004-12-11