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jeudi 24 octobre 2019

DISCOURS DE PIERRE BOURGAULT - 1961


Un document historique...

RASSEMBLEMENT POUR L’INDÉPENDANCE NATIONALE

SECRÉTARIAT GÉNÉRAL
DU R.I.N.
2157, rue Mackay
MONTRÉAL
Téléphone: Victor 2-9693

1961-1962  (date exacte inconnue)

RÉVOLUTION
Discours de Pierre Bourgault
Il y a moins d'un an, le quatre avril dernier (1961) en la salle du Gesù à Montréal, le R.I.N. tenait sa première assemblée publique.

Il y a moins d'un an, les journaux, la radio, la télévision commencèrent à parler de nous, à s'interroger sur l'idéal que nous prônions, à s'inquiéter de la reprise soudaine d'un mouvement que l'on croyait mort à jamais.

Ils le firent avec le sourire, en se moquant un peu, et en écartant au départ toute possibilité de réussite d'une pareille utopie. Il y a moins d'un an, malgré les sourires, malgré les moqueries et malgré l'ignorance, commençait la libération du Québec. Il y a moins d'un an commençait la révolution.

Nous étions alors une cinquantaine, assurés que le temps était enfin venu pour la nation canadienne-française de prendre conscience de sa force et de sa dignité.
Nous voilà aujourd'hui des milliers, tous animés du même désir, tous portés par la même foi, réunis dans un seul élan pour assurer à notre patrie la souveraineté dont elle ne peut plus se passer.

Quel chemin parcouru en si peu de temps!
Quel réconfort de voir que nous ne nous étions pas trompés: que la nation québécoise n'était pas morte, et que si elle était silencieuse, elle n'en attendait pas moins le moment de crier à la face du monde son désir de liberté.

Nous sentions bien que nous pouvions faire confiance à ce peuple dont nous sommes. A notre appel alors lointain, il a répondu par un acte de foi.

Nous nous sentions seuls, mais nous voilà tout à coup entourés. Chacun, de toute la force de ses moyens, veut fournir sa part à l'édification de ce monument aux vivants que nous sommes en train de dresser à la grande famille des hommes qui, à travers le monde, ont résolu de briser leurs chaînes et de vivre debout.

Il y a moins d'un an, nous existions à peine. Aujourd'hui, nous représentons la nation.

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Permettez-moi, au début de ce discours, de m'adresser tout d'abord à nos adversaires. Ils ont si souvent, ces derniers temps, ouvert la bouche pour nous dénoncer que je m'en voudrais de leur laisser croire que nous ne les avons pas entendus. Et à l'instar d'un grand chef d'Etat français, mais sans pour autant me prendre pour Jeanne d'Arc, je leur réponds: Messieurs, nous vous avons compris.

Nous avons surtout compris que vous n'avez rien compris.
Lorsque vous affirmez, monsieur Pearson, qu'un hymne national et un drapeau distinctif feraient rapidement disparaître le mouvement séparatiste, c'est que vous n'avez rien compris.
Lorsque vous nous dites, monsieur Fulton, que vous allez garantir aux Canadiens français du Québec les droits qu'ils ont de par la Constitution, c'est que vous n'avez rien compris.
Lorsque vous écartez d'un simple geste, monsieur Saint-Laurent, tous les indépendantistes, disant qu'il ne s'agit là que d'une poignée de « angry young men », vous faites peut-être étalage de vos talents de parfait bilingue, mais vous n'avez rien compris.

Et lorsque vous, cher monsieur Dorion, vous nous parlez des immenses progrès qu'a fait le bilinguisme au gouvernement fédéral depuis l'avènement des conservateurs, nous voyons bien que vous entendez à rire, que le ridicule a, dans votre bouche, presque de la grâce: mais vous non plus, vous n'avez rien compris.

Et monsieur Sévigny, permettez-moi de ne pas insister sur vos paroles, mais l'immense éclat de rire qui les a suivies prouve assez bien que, comme les autres, vous n'avez rien compris.
Oh! loin de moi la pensée de croire messieurs que vous n'avez pas autant d'intelligence que nous, ou que vous vous laissez emporter par des passions violentes qui vous feraient, dans vos beaux discours, dépasser votre pensée. Mais je voudrais quand même apporter quelques précisions propres à éclairer votre lanterne. Elles sont fort simples, elles se résument en peu de mots, mais elles sont définitives et irrévocables.

Non, ce n'est pas par la faute des Anglais que nous sommes séparatistes. Nous le sommes par notre propre volonté et par notre sentiment de dignité. Nous avons entendu plusieurs d'entre vous déclarer dernièrement que le séparatisme prendrait de la force ou disparaîtrait complètement selon l'attitude plus ou moins intelligente, plus ou moins raisonnable de nos compatriotes de langue anglaise.

Non, mille fois non. Messieurs les Anglais n'ont rien à voir dans l'affaire, et c'est à nous, et à nous seuls, qu'incombe la responsabilité de nos actions.

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Croyez bien messieurs que le temps est révolu où nos succès et nos insuccès étaient portés sur le dos des autres. Cette fois-ci et pour toujours, c'est nous qui décidons.
Sachez donc une fois pour toutes que l'attitude du Canada anglais, hostile ou aimable, indifférente ou généreuse ne changera absolument rien à notre volonté d'être libres, à notre volonté d'être maîtres chez nous.

Nous apprécions évidemment les efforts que vous faites pour engager le dialogue avec nous; niais tenez-vous-le pour dit: vous arrivez trop tard.
Il est également puéril de croire que les concessions, aussi spectaculaires qu'elles soient, nous feront jamais changer d'idée.

Le R.I.N. est un mouvement de libération nationale et non pas, comme certains sont trop portés à le croire, une vaste organisation de chantage propre à nous obtenir des chèques bilingues, un hymne national ou un drapeau distinctif.

Qu'on n'aille surtout pas imaginer que nous demandons le tout, certains par ce procédé d'obtenir au moins des miettes. Si nous voulons le tout, si nous voulons l'Indépendance, c'est qu'elle nous est indispensable et notre lutte continuera jusqu'à ce que nous l'ayons obtenue.
Nous ne sommes pas là pour revendiquer quoi que ce soit, ou pour donner une dernière chance à la Confédération. Elle est foutue votre Confédération, et vous auriez grand tort de croire que vous puissiez la ressusciter par des sourires et des courbettes.

Comprenez-moi bien. C'est l'Indépendance que nous voulons, rien de moins, et nous l'aurons.
J'ai encore à dire à nos adversaires que la flatterie ne les mènera nulle part. Nous sommes conscients de nos qualités et de nos défauts, et nous avons surtout fini de nous comparer au Canada anglais. C'est au reste du monde que nous nous comparons aujourd'hui, et nous avons assez d'honnêteté pour nous avouer que le tableau n'est pas brillant.

Lorsque dans un long éditorial la Gazette de Montréal a le culot d'affirmer que le Canada français est trop grand pour se limiter à la seule province de Québec, nous serions bien tentés de répondre par le mot de Cambronne, mais nous nous retenons. Car peut-être faudrait-il le traduire en anglais pour être compris, et dans la langue de Shakespeare, ça fait vraiment vulgaire.
 
Quand la Gazette nous parle de la mission du Canada français en Amérique, il y a de quoi s'inquiéter.

Depuis au-delà d'un siècle, on nous endort sous le poids de notre vanité. On nous dit: "Débarrassons-nous de notre complexe

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d'infériorité. Nous -sommes aussi bons sinon meilleurs que les Anglo-Canadiens. Bien sûr ils contrôlent l'économie du Canada, niais notre culture est plus forte que la leur. Ils ont l'argent mais nous avons le, théâtre, la peinture, et la littérature! Ils ont le corps mais nous avons l'esprit!"

Et nous, comme des paons, nous faisons la roue.
Non, mais vous vous rendez compte ! Quelle triste aberration a pu, pendant cent ans, nous asservir à ce fallacieux petit énoncé ?

Cette éternelle comparaison entre Canada anglais et Canada français a plus fait pour nous garder dans notre médiocrité que les lois les plus iniques et la mauvaise foi la plus évidente.
Bien sûr que nous avons tout l'esprit du Canada, mais cela ne nous.suffit plus. Nous savons trop que l'esprit d'une nation ne peut pas vivre longtemps s'il ne s'appuie pas sur autre chose que des grands mots et de la littérature.

Nous écrivons des pièces de théâtre ? A la bonne heure ! Mais nous voulons aussi des salles de spectacles pour jouer nos pièces et de l'argent pour payer nos directeurs, nos comédiens, nos artistes.

Nous avons le meilleur système d'éducation au monde ? Evidemment. Au pays du Québec, cela va de soi. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais nos savants doivent quémander et faire du porte en porte pour obtenir le minimum qu'il faut pour acheter les quelques instruments essentiels à leur travail. 99% de l'argent consacré à la recherche scientifique au Canada est dépensé au Canada anglais. 1% pour les parias que nous sommes. Et nous nous plaignons lorsque nos meilleures intelligences prennent le chemin de l'exil.

Cessons donc de nous comparer au Canada anglais. Cela n'a toujours réussi qu'à excuser notre paresse et nos démissions collectives.

Depuis cent ans que nous sommes courbés sous le poids de notre vanité. Pas surprenant que nous rampions si bas!

Mais nous commençons à comprendre. Nous avons du moins bien compris cette petite chose toute simple: qu'aucune culture valable ne peut s'épanouir chez un peuple économiquement et politiquement asservi. Nous avons compris l'interdépendance de ces facteurs de vie.
La culture canadienne-française sera et grandira lorsqu'elle pourra appuyer ses réalisations sur une relative indépendance économique et sur la politique libre d'un État souverain.

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Cette liberté économique et politique nous est niée par la constitution canadienne. Il faudrait être bien naïf pour croire qu'il en serait jamais autrement.

Je mets en garde ici ceux qui voudraient me faire dire que j'expose l'indépendance du Québec comme une fin en soi, comme une solution à tous nos problèmes.

Depuis un an, dans toutes les occasions, nous disons exactement le contraire. Mais je le répète pour ceux qui refusent de nous entendre. L'indépendance pour nous n'est pas une fin en soi, elle est un moyen, un instrument, rien de plus. Après l'Indépendance, nous retrouverons les mêmes problèmes qui sont ceux du Canada français aujourd'hui, mais alors nous aurons les moyens de les attaquer de front et d'essayer de les solutionner. Et surtout, ah! oui surtout, nous aurons les moyens de les solutionner nous-mêmes, dans le sens de notre esprit et de notre volonté!
L'indépendance n'est qu'un instrument, mais instrument essentiel.

Mais revenons donc au début de cet article et répétons à nos adversaires que la flatterie ne les mènera nulle part. Vous pouvez bien, messieurs, nous encenser et nous faire des compliments: nous dire que nous sommes cultivés, et gentils, beaux et fins, aimables et agréables à vivre; que nos enfants sont plus beaux que les vôtres et que l'Oratoire Saint-joseph est un chef-d'oeuvre, mais sachez qu'enfin nous avons désappris la vanité. Nous savons qu'il en est tout autrement et nous savons ce que ces cris d'admiration veulent dire: on en pousse de semblables devant les objets de musée.

Non, messieurs, nous ne sommes ni plus beaux ni plus laids que les autres, votre culture vaut bien la nôtre (enfin c'est ce que nous dit monsieur Scott Symons); nous avons beaucoup à apprendre et aussi un peu à donner, mais nous sommes quand même différents de ce que nous étions hier.

Et là réside notre seule force. Autrefois, souvenez-vous, il vous fallait baisser les yeux pour voir ce pauvre peuple ramper. Mais aujourd'hui nous sommes debout et c'est droit dans les yeux que nous vous regardons.

Il ne faudrait pas croire non plus, messieurs du Canada, que, parce que de tempérament latin, nous sommes plus sentimentaux que nécessaire.

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 Lorsque vous nous dites que la sécession du Québec serait la mort du Canada., cela nous rappelle sans doute quelques souvenirs, de l'état de béatitude où nous étions lorsqu'il était en pleine santé mais ne vous étonnez pas trop si aujourd'hui nous avons la larme moins facile qu'autrefois.

Voyez-vous, ce que vous nous dites est peut-être vrai, mais notre réaction en est une bien anglaise ; So what! En effet, si le Canada ne vit que par le Canada français, si nous ne pouvons l'amputer d'un seul de ses membres sans le précipiter soudain dans l'agonie, c'est qu'il n'a pas sans doute toutes les vertus qu'on lui prête.

Si le Canada. ne peut vivre par lui-même sans le Canada français, cela ne nous- prouve qu'une chose: c'est que nous aurions bien tort de continuer une association qui nous forcerait à traîner après nous une nation moribonde.

Non vraiment. Nous avons trop de problèmes à régler nous-mêmes : nous ne saurions nous embarrasser d'un tel poids.

Cela est bien dommage évidemment. Mais nous croyons que si le Canada avait réclamé son indépendance plus tôt, peut-être ne serait-il pas dans le triste état où nous le voyons aujourd'hui.

Il ne faut quand même pas désespérer. Qui sait? Une fois. son indépendance acquise, le Québec prêtera peut-être au Canada, pour l'aider à survivre, un peu de l'énergie qu'il aura déployée pour conquérir sa liberté.

Je sens que j'accorde peut-être trop de temps à répondre à tous ces bons messieurs de la grande cause confédérale. Pourtant, je voudrais encore leur servir un petit avertissement, en toute amitié.

C'est que devant l'ampleur que prend notre mouvement, ce qui, à ce qu'il semble, n'a pas l'air de les réjouir, il ne faudrait quand même pas qu'ils perdent la tête.

Nous comprenons très bien leur excitation présente, mais nous souhaitons fort qu'ils en restent là. Nous leur recommandons donc de ne pas s'affoler et de rester calmes comme nous l'avons toujours été et comme nous prétendons le rester. Qu'ils ne s'inquiètent pas, nous n'allons quand même pas donner McGill aux jésuites.

Nous leur conseillons aussi, pour qu'ils évitent d'accumuler trop d'amertume, qu'ils se réunissent à plusieurs, entre amis, et qu'ils écrivent dans les deux langues officielles du pays, un .petit livre à une piastre sur les vertus de la Confédération. M. Fisher pourrait le préfacer, et qui sait? il remporterait peut-être le grand prix de l'humour canadien!

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Mais trêve de plaisanterie! •
Maintenant, si vous le voulez bien, nous allons nous parler entre nous, Canadiens français.
Il y a moins d'un an, commençait la libération du Québec. Aujourd'hui, nous sommes la Nation, nous sommes la Révolution, nous sommes la Révolution nationale.

Que ces mots n'effraient personne. Je m'empresse d'ailleurs d'expliquer la signification exacte qu'ils ont pour nous indépendantistes, et particulièrement pour nous du R.I.N.
Nous sommes la Nation!

À première vue, cela peut paraître prétentieux et gratuit. Mais si nous analysons la chose de plus près, nous nous apercevons vite que l'expression est logique et juste.
Une nation n'a d'existence que par la vie que lui communiquent les membres qui la composent.
Nous croyons sincèrement, sans vanité mais aussi sans modestie, représenter la vie même de la nation.

Nous avons oublié les défaites, nous avons oublié nos malheureux complexes, nous avons fait taire nos futiles agressivités et nous nous consacrons tout entiers à redonner la vie, à redonner la fierté à notre peuple, à nous-mêmes, à la nation québécoise.

Par notre action, par notre foi et notre confiance dans le peuple québécois, nous sommes la vie même de la nation.

Nous sommes la minorité bien sûr, mais nous croyons sincèrement que sans le désir de liberté qui nous habite et que nous faisons rayonner, le Canada français continuerait de mourir tranquillement sans même s'en apercevoir.

Nous sommes la nation, parce que nous sommes la liberté de la nation.

L'homme n'est rien, l'homme ne peut rien s'il n'a pas le pouvoir de choisir. L'homme n'a de valeur que par sa liberté. Il n'en va pas autrement des peuples. Un peuple asservi, un peuple en tutelle n'est rien de plus qu'un troupeau de bêtes qu'on mène au pâturage ou à l'abattoir.

Si nous analysons un peu plus profondément ce concept nous verrons que ce qui fait l'homme c'est, plus que la liberté qu'il possède en fait, son désir de liberté, dans quelque circonstance ou contexte qu'il se trouve.

Nous sommes la nation, parce que nous représentons son désir de liberté.
Nous représentons toutes les aspirations de la nation canadienne-française. Notre désir d'indépendance et de fierté s'incarne

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dans tous nos problèmes, qu'ils soient d'ordre économique, politique ou culturel.
Il n'y a pas. de solutions partielles. Tout se tient, et la nation est une, par notre désir de la faire s'épanouir dans l'équilibre, sans détriment pour l'un ou l'autre aspect des éléments qui la composent.

La langue française au Québec ne pourra s'améliorer que si elle est utile et nécessaire. Elle sera nécessaire si l'on s'en sert pour gagner sa vie et pour entretenir des relations sociales. Pour qu'une partie de l'économie revienne aux mains des Canadiens français il faut que la nation puisse contrôler son commerce, ses relations extérieures, son crédit, ses banques. Pour ce faire il faut que l'État du Québec soit souverain, et libre d'agir dans le sens de ses intérêts.
Tous les problèmes se touchent et sont indissociables.

Présenté de cette façon le raisonnement peut paraître simpliste. On pourrait évidemment élaborer sur le sujet pendant des heures mais ce serait pour en revenir à ce petit énoncé tout simple. Trop simple peut-être pour ceux qui sont habitués à compliquer les choses à dessein par peur souvent d'arriver devant un problème précis auquel ils n'auraient pas le courage de s'attaquer pour essayer de le solutionner.

Nous sommes la nation parce que nous refusons de la morceler, parce que nous voyons toutes ses misères mais que nous comprenons aussi ses aspirations. Parce que nous représentons la totalité de ses désirs.

Et enfin nous sommes la nation, parce que nous sommes la volonté de la nation.

Nous ne sommes pas inconscients des problèmes auxquels il faudra nous attaquer pour faire du Québec un pays vraiment libre. Nous ne refusons pas, au contraire, d'analyser dans leurs moindres détails les obstacles qui pourront se trouver sur notre chemin. Les difficultés seront nombreuses nous le savons. 

Mais nous refusons de croire qu'elles soient insurmontables. Nous refusons de croire que ce peuple qui a lutté depuis 200 ans pour survivre, souvent dans les circonstances les plus difficiles, ne trouvera pas en son sein la force nécessaire pour franchir le dernier obstacle sur le chemin de la liberté.

Nous croyons en la nation canadienne-française. Nous croyons en notre propre puissance. Parce que nous avons jugé au départ que l'indépendance du Québec est non seulement souhaitable mais qu'elle est nécessaire, nous avons délaissé la peur, nous nous moquons des mauvais coups et insouciants des moqueries et des sarcasmes, nous atteindrons le but que nous nous sommes proposé.

  • Nous sommes la volonté de la Nation.

  • Nous sommes la Nation.

  • Nous sommes la Révolution.

 Ce mot me fait penser à ce qu'un ami me disait l'autre jour:

« Tu sais que la Révolution française n'a jamais eu lieu », me déclara-t-il. 

— Comment ça? lui dis-je. « Eh oui, elle était tout à fait impensable économiquement.»

Elle a pourtant eu lieu la révolution française, et l'américaine et la russe aussi.
Évidemment, selon certains, le Québec ne souffre pas de comparaisons avec qui que ce soit. Selon ces gens, tout est possible clans tous les pays du monde sauf au Québec. Peur, lâcheté, insouciance, désintéressement? Tout cela à la fois, dans des proportions plus ou moins grandes selon les personnes.

Mais malgré tout, et que cela plaise ou non, nous sommes la Révolution.
Expliquons-nous bien vite avant que quelques-uns se mettent à crier qu'on veut les assassiner.
« Changement brusque et violent dans la politique et le gouvernement d'un État.» C'est ainsi que Littré nous définit la révolution. C'est clair, c'est propre et on sait à quoi s'en tenir.

Pourtant, cette petite définition toute simple peut être interprétée de différentes façons.
A partir de cette définition je vais donc vous dire pourquoi nous affirmons que nous sommes la révolution.

Il est indéniable que l'Indépendance apportera un changement assez brusque dans la politique et le gouvernement du Canada, comme clans ceux du Québec.

Je crois bien que la grande majorité ne chicanera pas pour accepter la première partie de cette définition et l'appliquer à notre action. Mais il y a le petit mot « violent ».

La plupart d'entre nous, et c'est normal, réagira devant ce mot en jetant les hauts cris, en jurant qu'il y a assez de guerres dans le monde sans en faire une ici, en s'imaginant des tableaux pleins d'horreur et de détresse, en exhortant les séparatistes à rester calmes, et en voyant déjà les armées s'affronter.

Beaucoup d'entre vous savez comme moi qu'il n'est d'ailleurs pas nécessaire de prononcer ces mots pour que tout de suite on imagine le pire. Aux yeux de certains nous sommes méchants, ' sanguinaires et barbares et c'est l'arme au poing que nous voulons atteindre notre but.

Rassurez-vous, nous n'avons pas de ces intentions. Notre action n'en est pas moins violente et le deviendra sans doute encore plus.

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Il existe, à côté de la violence purement physique que nous réprouvons fortement, une violence faite à l'esprit, à l'intelligence des hommes. C'est cette violence que nous pratiquons pour arriver à Changer la politique et le gouvernement de notre pays.

C'est l'esprit que nous attaquons, et c'est avec les mots et la raison que nous nous battons.
Et notre raisonnement est violent parce qu'il s'attaque à détruire des préjugés, des complexes de l'intelligence qui trop souvent, chez beaucoup de personnes, leur cachent la réalité des circonstances et du contexte dans lesquels elles vivent.

C'est faire violence aux gens que de leur dire. que la politique canadienne à l'intérieur de la Confédération ne peut que desservir le Canada français. lis croient depuis si longtemps à la bonne entente, au bilinguisme, à la nation binationale et quoi encore, que le seul fait de leur dire que cela n'existe pas et n'existera jamais produit chez eux un choc brutal.

C'est faire violence aux gens que de leur dire que nous avons deux gouvernements dont un seul sert la nation canadienne-française. C'est aussi faire directement violence au gouvernement canadien que de lui démontrer qu'il nous est inutile et que nous comptons nous en débarrasser le plus tôt possible.

Et la violence est d'autant plus grande dans les esprits qu'ils ne s'attendaient aucunement à voir se réveiller le peuple canadien-français brandissant à bout de bra.s son désir de liberté.
L'esprit des hommes qui font la politique et qui composent le gouvernement canadien, par notre action, subit un changement brusque et violent.

C'est clans ce .sens que nous pouvons dire que nous sommes la Révolution.

•• Révolution pacifique, mais révolution quand même. Révolution dans la raison et dans les sentiments, révolution dans les habitudes, dans les structures, dans les cadres.

  • Passage brusque et violent de la honte à la dignité.
  • Passage brusque et violent de la médiocrité à la fierté.
  • Passage brusque et violent de la servitude à la liberté.

C'est ça la Révolution.

Nous sommes la Nation, nous sommes la Révolution, nous sommes la Révolution nationale!
y a. quelque temps, quelqu'un me soulignait: « La Confédération, en fait, ce n'est qu'une affaire de trains. Elle a commencé en 1867 avec le Pacifique Canadien et elle finira cent ans plus tard avec le train du Centenaire."

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--  Cela est une façon amusante de prendre ses -souhaits pour des réalités. Mais comme on nous demande souvent quand se fera l'indépendance, je crois ce soir pOuvoir vous apporter une réponse assez juste.

Je m'excuse d'insister, mais je devrai encore parler de nos adversaires.
Si vous voulez savoir, à six mois près, quand se fera l'Indépendance, vous n'avez qu'à observer leurs réactions à notre mouvement.

Nous comptons six phases pour accéder à la souveraineté du Québec. Nous les avons établies d'après les réactions que -nous avons pu observer et d'après les autres qui ne manqueront pas de suivre:

Premièrement : le silence. Cette phase a duré environ six mois, c'est-à-dire à partir de la date de la fondation du R.I.N. jusqu'à l'assemblée publique du Gesù. On nous ignorait tout simplement.

Deuxièmement : le ridicule. Jusqu'à il y a environ deux mois on nous traitait d'illuminés, de 'rêveurs, de sentimentaux, et sur la simple affirmation que vous étiez séparatiste, un immense éclat de rire, infailliblement, vous répondait. Nous avons continué quand même.

Troisièmement : les concessions. Nous sommes en plein dedans. Nous devons avouer que toutes ces étapes sont franchies beaucoup plus rapidement que nous l'aurions espéré. Cette troisième phase se poursuit aujourd'hui et nous ne pouvons prévoir exactement quand nous passerons à la suivante. Mais au rythme où vont les choses, cela ne devrait pas tarder.
 
Quatrièmement : l'achat des consciences. Cela se fait avec de l'argent, des offres d'avancement à son travail, ou encore par des propositions alléchantes de bénéfices quelconques, ne fussent-ils qu'honorifiques.

Cinquièmement : l'hostilité ouverte, les dénonciations violentes commenceront. On nous fera passer pour des anarchistes qui veulent tout briser sur leur passage. On effraiera les gens en leur parlant de guerre civile, de massacre et de quoi d'autre encore. On invoquera Cuba, le Congo, l'Algérie. Remarquez que ces mêmes personnes crient sur tous les toits aujourd'hui qu'il ne peut y avoir aucun parallèle entre le Québec et ces pays. Mais pour les besoins de la cause on change vite d'idée.

Quoi qu'il en soit, cette cinquième étape est la plus importante. Il nous faudra être assez forts pour ne 'pas répondre à la provocation, assez calmes pour résister à la tentation d'envoyer tout promener, assez -intelligents et lucides pour éviter les coups bas qu'on voudra nous porter.

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Une chose cependant pourra nous aider à garder confiance. C'est qu'alors la dernière étape ne sera pas loin.

Sixièmement : l'Indépendance. Nous ne savons pas au juste combien de temps durera la cinquième phase. Mais ceux qui ont un peu le sens de la politique ou tout simplement une bonne connaissance des hommes pourront, à partir de ce moment, mettre une date au jour de l'Indépendance.

Observez donc de près les réactions de nos adversaires et vous saurez assez exactement à quelle vitesse nous progressons et vous pourrez entrevoir le jour où le Québec sera libre.
Avant de terminer j'aurais des remerciements à adresser à quelques personnes.

À monsieur Parizeau, économiste, pour avoir déclaré dans Le Devoir, il y a quelque temps, que, économiquement, l'indépendance du Québec n'était nullement une absurdité.

À monsieur Laurin, psychiatre, pour nous avoir rassurés sur notre propre compte, en affirmant, encore dans Le Devoir, que les séparatistes ne sont pas fous. On aime toujours se l'entendre dire par des spécialistes.

À monsieur Fisher, pour sa franchise et pour les déclarations qu'il a faites en faveur de notre thèse. Nous voulons en même temps rassurer les inquiets: monsieur Fisher n'est pas sur la liste de paye du R.I.N.

À messieurs Keyston et Harkness pour un congé refusé à monsieur Marcel Chaput, au mois de novembre dernier.

À monsieur Marcel Chaput, pour avoir fourni à toute la nation canadienne-française un exemple de dignité et de fidélité à notre cause commune.

Puissions-nous tous avoir la force de rester fidèles à nous-mêmes.
Puissions-nous tous posséder pour toujours ce désir violent de liberté qui nous anime.

La bataille ne fait que commencer. Il faudra travailler encore et toujours plus à la restauration de la fierté canadienne-française.

Souvenons-nous que le mouvement est irréversible et, sans fléchir, menons notre combat jusqu'au bout.

Il y a moins d'un an commençait la libération du Québec. Quel chemin parcouru en si peu de temps !

Hier nous n'étions rien. Aujourd'hui nous sommes la Nation, nous sommes la Révolution, nous sommes la Révolution nationale.

FIN


NOTE

 Ce document est la reproduction intégrale de la  brochure No 1 intitulée :

RÉVOLUTION
Discours prononcé à la salle de la Fraternité des Policiers, à Montréal,
à une date inconnue qui se situe au tournant des années 1961-1962.
Par Pierre Bourgault

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LE SERVICE DE PROPAGANDE
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L'INDÉPENDANCE NATIONALE

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