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samedi 13 juin 2020

L'APPEL DU 18 JUIN 1940


À l'approche de ce 80e anniversaire...

Les archives de la Revue

DE GAULLE, LE VERBE ET LE GLAIVE

L’INFO : 18 Juin 1940 - 18 juin 2020. Le quatre-vingtième anniversaire de l'Appel invite à une lecture attentive des écrits de Charles de Gaulle. Des textes qui prouvent que le général n'a jamais découplé le glaive et la balance. La nation, résistante ou armée, n'est pas aveugle, mais porteuse de valeurs. Le verbe, lui, inséparable d'un style, exprime à sa manière son génie. Il peut même, le cas échéant, être le substitut de la force...

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Appel du 18 Juin : un acte d'obéissance à l'Histoire, guidé par l'art de deviner le monde 

   
C'est le 19 août 1948, donc au début de la « traversée du désert », que j'ai entendu le Général prononcer cette phrase, aussitôt transcrite et maintes fois relue : « Oui, nous avons pesé sur l'histoire d'une décennie, mais aurons-nous pesé sur l'histoire d'un siècle ? » Le ton de cette mise en garde n'était pas celui du désenchantement. Je l'ai accueillie comme une variante du précepte de Péguy : « Porte-toi sur demain ! » S'il faut, cependant, se reporter sur hier, que cela soit pour restituer au passé son vrai visage et non pour le parer des couleurs du présent ! J'ai le privilège d'avoir été parmi les premiers à ressentir le souffle créateur d'où naquit « un certain 18 juin ». Je voudrais aujourd'hui bannir de ma mémoire tous les éléments affectifs pour écouter l'Appel d'une oreille comparable à celle d'un jeune historien qui le découvrirait.

Un des premiers groupes clandestins qui engagèrent dès 1940 la « bataille de Paris », peut-être le premier de tous, fut formé par l'équipe des chercheurs du musée de l'Homme. L'historien d'art Jean Cassou se joignit à leur combat. Quarante ans après, au bord de la tombe, il fit cette confession publique : « À mes yeux, tout était perdu ; j'étais convaincu que le IIIe Reich durerait mille ans ; notre défi avait la beauté du désespoir. » Ce langage n'était pas sans quelque ressemblance avec celui des « réprouvés » décrits par un célèbre roman d'Ernst von Salomon, c'est-à-dire de la poignée d'Allemands qui, le 11 novembre 1918, demeuraient résolus à tuer et à mourir tout en se sachant vaincus. Or, le 18 juin 1940, aucune notion, aucune image, n'était plus étrangère que « la beauté du désespoir » au futur auteur des Mémoires d'espoir. Son trait distinctif était précisément d'apparaître comme le contraire d'un « réprouvé ».

 
« L'audace de l'Appel est d'abord intellectuelle ; elle part de l'intelligence qui la confiera bientôt à l'action. »

Certes, « des siècles d'honneur lui remontaient à la gorge », comme devait l'écrire par inadvertance un collaborateur de la puissance occupante dont l'ironie, à force d'être amère, avait glissé vers l'hommage. Mais, dans les discours de juin, ceux qui précédèrent comme ceux qui suivirent l'armistice, le mot honneur ne figure en tête des mobiles et des motifs invoqués que pour être aussitôt suivi des deux mots clefs : bon sens. L'honneur est toujours présent, mais il n'est jamais seul. Avant de proclamer que, « quoi qu'il arrive, la flamme de la Résistance française ne doit pas s'éteindre », l'Appel avait donné trois fois rendez-vous à l'Histoire : « Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. [...] Le dernier mot était-il dit ? Non. [...] Cette guerre est une guerre mondiale. »

La phrase la plus propre à éveiller la réflexion et à nourrir l'analyse de l'historien qui, fidèle à la bonne règle, jauge l'événement en oubliant tout ce qui l'a suivi, me paraît être celle qu'on ne relève jamais. Poser péremptoirement comme un axiome, sans hésiter à employer l'indicatif, que « cette guerre est une guerre mondiale », le 18 juin 1940, alors que l'Angleterre affronte solitaire et démunie une Allemagne dont la machine de guerre semble irrésistible, tel est le caractère spécifique d'un réalisme prophétique qui s'oppose comme un démenti aux réalités apparentes ; l'audace est d'abord intellectuelle ; elle part de l'intelligence qui la confiera bientôt à l'action. Or, si notre historien, toujours résolu à ne pas tourner le feuillet du calendrier, se donne pour ambition d'offrir une vue générale du 18 Juin qui embrasse toute la planète, il constatera, non sans une surprise émerveillée, que l'Appel reçoit une confirmation, dans la journée même, partout où s'annonce et se prépare le destin du monde. Plus la recherche s'étend, plus la voix du bon sens tend à se confondre avec celle de l'honneur.


Le 18 Juin du Führer et du Duce...

« J'ai perçu dans le peuple allemand les premiers germes de la défaite. » Où, quand et par qui cette phrase a-t-elle été prononcée ? L'incroyable est parfois vrai : elle est tombée des lèvres de Benito Mussolini, le soir du 18 juin 1940, presque à l'heure même où quelques centaines de Français entendaient pour la première fois la voix d'un général à peu près inconnu ; c'est Galeazzo Ciano, gendre et ministre des Affaires étrangères du Duce, qui l'a recueillie et transcrite aussitôt dans son Journal politique ; la boutade... ou la prophétie a été lancée sur le quai de la gare de Munich que les deux hommes s'apprêtent à quitter après y être arrivés le matin même [...] > LIRE LA SUITE

MAURICE SCHUMANN
         
     

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De Gaulle, la guerre et le verbe

   
Le plus prestigieux des hommes politiques français du XXe siècle n'a écrit qu'un seul ouvrage qui traite directement de philosophie politique : le Fil de l'épée. Et pourtant, en dépit de ce titre qui pourrait prêter à malentendu, la pensée du général de Gaulle se distingue autant qu'il est possible des « philosophies de la violence » qui, sous la forme des totalitarismes, ont, à bien des égards, dominé ce même XXe siècle. Elle en est même, en conformité avec ce que fut le rôle historique de ce grand homme dans les grandes crises du siècle, l'antidote.

Par « philosophies de la violence », nous entendons la postérité intellectuelle de Hegel, qui, ainsi que l'a montré Hannah Arendt, sous la double forme du marxisme-léninisme et du nazisme, à travers Marx et Sorel, a fondé son action sur le principe qu'il n'y a pas de valeurs transcendantes ou permanentes, mais que les valeurs sont le produit de l'Histoire, une Histoire dont la violence est l'accoucheuse : en résumé, pour ces philosophies qui ont abouti aux aberrations totalitaires que l'on sait, le droit est la « raison du plus fort ».


« Le Fil de l'épée »

Il ne manque certes pas de passages dans l'œuvre de Charles de Gaulle qui pourraient laisser penser qu'il fait siennes les vues des idéologues que l'on vient d'évoquer, qu'il considère lui aussi la violence comme la maîtresse de l'Histoire. « L'épée est l'axe du monde », jette-t-il en exorde à Vers l'armée de métier ; on trouve au début du Fil de l'épée cet éloge appuyé de la force : « Recours de la pensée, instrument de l'action, condition du mouvement, il faut cette accoucheuse pour tirer au jour le progrès » et dans la France et son armée, il précise : « La France fut faite à coups d'épée. Nos pères entrèrent dans l'Histoire avec le glaive de Brennus. Ce sont les armes romaines qui leur portèrent la civilisation. Grâce à la hache de Clovis la patrie reprit conscience d'elle-même après la chute de l'Empire. La fleur de lys, symbole de l'unité nationale, n'est que l'image d'un javelot à trois lances. »

Plus que l'esprit de classe ou les idéologies, l'esprit national constitue pour lui, on le sait, la force principale de l'Histoire : que les grands États européens aient été forgés par la guerre est donc loin d'être indifférent à sa vision du monde. C'est pourquoi la tentation a existé, et d'abord chez ses adversaires, d'identifier la pensée gaullienne aux philosophies de la violence, génératrices de dictatures - et par la même occasion de suspecter chez lui des ambitions dictatoriales. Ce serait pourtant là un contresens. La première raison en est que, chez de Gaulle, la nation, si elle s'édifie dans la violence, dans son essence lui est antérieure. Elle n'est pas seulement le produit contingent des combats qui ont permis sa genèse ; elle précède ces combats, et dans une certaine mesure, par exemple dans l'Europe pacifiée d'aujourd'hui, elle leur survit [...] 
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ROLAND HUREAUX
         
     

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De Gaulle mystique

   
À Londres, pendant la guerre, le général de Gaulle écrivait seul ses discours – une habitude qu’il conservera – et personne ne peut se targuer de l’avoir influencé dans la rédaction de l’un ou l’autre de ses messages. Une fois pourtant, le fondateur de la Ve République semble bien s’être rangé à l’opinion de son entourage. Quelques mois après son arrivée au Royaume-Uni, racontait son aide de camp Claude Bouchinet-Serreulles, il préparait une allocution à destination du territoire national occupé et s’était placé sous l’invocation de Notre-Dame de France – référence explicite à Charles Péguy. Ayant eu vent de ce projet, plu-sieurs de ses collaborateurs – dont Bouchinet-Serreulles – lui déconseillèrent cette allusion. Dans la capitale britannique se trouvait en effet un groupe de Français particulièrement sourcilleux en matière de républicanisme et il paraissait inutile à ces proches du Général de leur offrir un prétexte pour alimenter leur suspicion. Le Général, en définitive, se rangea à leurs arguments.

L’anecdote prouve, s’il en était besoin, combien de Gaulle avait une conception quasi mystique de son pays. Ce patriotisme aux accents presque charnels, il l’avait hérité de ses parents, tous deux ardemment catholiques. Personne ne sait vraiment quelles étaient l’intensité et la profondeur des convictions religieuses du Général mais il est certain que, pour lui, les racines chrétiennes de la France ne faisaient guère de doute, le baptême de Clovis étant à ses yeux le début d’une histoire qu’il employa toute son énergie à prolonger. Partant, on comprend mieux à quelles sources s’alimenta le puissant sentiment national qui l’animait.

 
« Cette certitude, jamais dissimulée, d’incarner la France éternelle valut à de Gaulle des attaques dont on peine à imaginer aujourd’hui la violence. »

Comme tous les jeunes gens de son milieu et de sa génération, il avait lu Charles Maurras. La critique par ce dernier du système parlementaire, la définition également d’un certain rôle de la France dans le monde, tout cela l’avait sans doute intéressé mais sans le convaincre pleinement. L’antisémitisme de l’auteur d’Anthinéa ne pouvait que lui être étranger et aussi une vision trop arbitraire de l’histoire nationale, amputée par esprit de système singulièrement à partir de la Révolution. Pour de Gaulle, quelles qu’aient pu être ses préférences, l’histoire de France, nécessairement, était une et ce fut donc auprès de Péguy et de Barrès qu’il trouva ses vrais inspirateurs. À l’égard de Péguy, il ne cacha jamais sa dette et l’écriture de ses Mémoires en porte témoignage avec de longs passages, presque psalmodiés où s’exprime sa foi en l’éternité de sa patrie. « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France », disait Charles Péguy. De Gaulle aurait pu faire sienne intégralement cette formule.

À l’égard de Maurice Barrès, il aura moins l’occasion de dire explicitement son admiration sinon dans une lettre adressée à Jean-Marie Domenach (auteur de Barrès par lui-même) où il évoque à propos de l’auteur de la Colline inspirée : « Ce déchirement de l’âme, si l’on veut de désespoir, qui m’a toujours entraîné vers lui. » Le jugement sans doute ne valait pas absolution pour les erreurs de Barrès au moment de l’affaire Dreyfus mais il est évident que la sensibilité du Général ne pouvait que s’accorder avec la conception de la continuité française exaltée par Barrès. À l’inverse de Maurras, ce dernier refusait de couper l’histoire nationale en morceaux et, pareillement, durant la Grande Guerre, il célébra l’apport au génie français de toutes les familles spirituelles, sans aucune distinction. Si, pour Maurras, la France était une idée, donc malléable, pour Barrès elle constituait une personne vivante que l’on devait respecter avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses. Tout au long de sa vie, de Gaulle ne dira pas autre chose, ce qui explique qu’en 1940, venu d’un milieu traditionaliste et catholique, il ait eu le génie d’assumer toute l’Histoire, de rassembler tous les courants sur ce mot d’ordre simple : la sauvegarde de l’intérêt national.

Cette certitude, jamais dissimulée, d’incarner la France éternelle valut à de Gaulle des attaques dont on peine à imaginer aujourd’hui la violence. Certains républicains de stricte obédience n’hésitaient pas à l’accuser de fascisme. La République reposait sur l’héritage des Lumières et l’avoir vue sauvée, après le naufrage de juin 1940, par un homme étranger aux « immortels principes » constituait une potion très amère pour beaucoup de politiques. Il a fallu que le temps fasse son œuvre pour que l’on consente à admettre que la mystique qui avait porté de Gaulle et lui avait donné la force de dire non en 1940 n’était en rien totalitaire [...] 
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ÉRIC ROUSSEL
     

Juin 2020, dans la
Revue des Deux Mondes

 


SYLVAIN TESSON
Sauver notre civilisation


Éditorial
Racines
Par Valérie Toranian
Dossier - L'arbre, un modèle de civilisation
Francis Hallé : par amour des arbres - Eryck de Rubercy
Comment les arbres nous construisent-ils ? - Jacques Tassin
Jean Giono, la passion des arbres - Jacques Mény
Abeilles, arbres et paysages - Yves Darricau
Et aussi : Ernst Zürcher, Michel Delon, Philippe Trétiack, Marin de Viry, Kyrill Nikitine 
Grand entretien
Sylvain Tesson, confession sans tabou
Littérature
La mort de Jean d’Ormesson
Par Marc Lambron
Hommage
Philippe Séguin dix ans après - Marc Ladreit de Lacharrière, Mathieu Bock-Côté, Saïd Mahrane, Frédéric Fogacci et Arnaud Teyssier

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