L’INFO : 18 Juin 1940 - 18 juin 2020. Le
quatre-vingtième anniversaire de l'Appel invite à une lecture attentive
des écrits de Charles de Gaulle. Des textes qui prouvent que le général
n'a jamais découplé le glaive et la balance. La nation, résistante ou
armée, n'est pas aveugle, mais porteuse de valeurs. Le verbe, lui,
inséparable d'un style, exprime à sa manière son génie. Il peut même, le
cas échéant, être le substitut de la force...
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Appel du 18 Juin : un acte d'obéissance à l'Histoire, guidé par l'art de deviner le monde
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C'est
le 19 août 1948, donc au début de la « traversée du désert », que j'ai
entendu le Général prononcer cette phrase, aussitôt transcrite et
maintes fois relue : « Oui, nous avons pesé sur l'histoire d'une
décennie, mais aurons-nous pesé sur l'histoire d'un siècle ? » Le ton de
cette mise en garde n'était pas celui du désenchantement. Je l'ai
accueillie comme une variante du précepte de Péguy : « Porte-toi sur
demain ! » S'il faut, cependant, se reporter sur hier, que cela soit
pour restituer au passé son vrai visage et non pour le parer des
couleurs du présent ! J'ai le privilège d'avoir été parmi les premiers à
ressentir le souffle créateur d'où naquit « un certain 18 juin ». Je
voudrais aujourd'hui bannir de ma mémoire tous les éléments affectifs
pour écouter l'Appel d'une oreille comparable à celle d'un jeune
historien qui le découvrirait.
Un des premiers groupes clandestins qui engagèrent dès 1940 la «
bataille de Paris », peut-être le premier de tous, fut formé par
l'équipe des chercheurs du musée de l'Homme. L'historien d'art Jean
Cassou se joignit à leur combat. Quarante ans après, au bord de la
tombe, il fit cette confession publique : « À mes yeux, tout était perdu
; j'étais convaincu que le IIIe Reich durerait mille ans ; notre défi
avait la beauté du désespoir. » Ce langage n'était pas sans quelque
ressemblance avec celui des « réprouvés » décrits par un célèbre roman
d'Ernst von Salomon, c'est-à-dire de la poignée d'Allemands qui, le 11
novembre 1918, demeuraient résolus à tuer et à mourir tout en se sachant
vaincus. Or, le 18 juin 1940, aucune notion, aucune image, n'était plus
étrangère que « la beauté du désespoir » au futur auteur des Mémoires d'espoir. Son trait distinctif était précisément d'apparaître comme le contraire d'un « réprouvé ».
« L'audace de l'Appel est d'abord intellectuelle ; elle part de l'intelligence qui la confiera bientôt à l'action. »
Certes,
« des siècles d'honneur lui remontaient à la gorge », comme devait
l'écrire par inadvertance un collaborateur de la puissance occupante
dont l'ironie, à force d'être amère, avait glissé vers l'hommage. Mais,
dans les discours de juin, ceux qui précédèrent comme ceux qui suivirent
l'armistice, le mot honneur ne figure en tête des mobiles et des motifs
invoqués que pour être aussitôt suivi des deux mots clefs : bon sens.
L'honneur est toujours présent, mais il n'est jamais seul. Avant de
proclamer que, « quoi qu'il arrive, la flamme de la Résistance française
ne doit pas s'éteindre », l'Appel avait donné trois fois rendez-vous à
l'Histoire : « Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de
France. [...] Le dernier mot était-il dit ? Non. [...] Cette guerre est
une guerre mondiale. »
La phrase la plus propre à éveiller la réflexion et à nourrir
l'analyse de l'historien qui, fidèle à la bonne règle, jauge l'événement
en oubliant tout ce qui l'a suivi, me paraît être celle qu'on ne relève
jamais. Poser péremptoirement comme un axiome, sans hésiter à employer
l'indicatif, que « cette guerre est une guerre mondiale », le 18 juin
1940, alors que l'Angleterre affronte solitaire et démunie une Allemagne
dont la machine de guerre semble irrésistible, tel est le caractère
spécifique d'un réalisme prophétique qui s'oppose comme un démenti aux
réalités apparentes ; l'audace est d'abord intellectuelle ; elle part de
l'intelligence qui la confiera bientôt à l'action. Or, si notre
historien, toujours résolu à ne pas tourner le feuillet du calendrier,
se donne pour ambition d'offrir une vue générale du 18 Juin qui embrasse
toute la planète, il constatera, non sans une surprise émerveillée, que
l'Appel reçoit une confirmation, dans la journée même, partout où
s'annonce et se prépare le destin du monde. Plus la recherche s'étend,
plus la voix du bon sens tend à se confondre avec celle de l'honneur.
Le 18 Juin du Führer et du Duce...
«
J'ai perçu dans le peuple allemand les premiers germes de la défaite. »
Où, quand et par qui cette phrase a-t-elle été prononcée ? L'incroyable
est parfois vrai : elle est tombée des lèvres de Benito Mussolini, le
soir du 18 juin 1940, presque à l'heure même où quelques centaines de
Français entendaient pour la première fois la voix d'un général à peu
près inconnu ; c'est Galeazzo Ciano, gendre et ministre des Affaires
étrangères du Duce, qui l'a recueillie et transcrite aussitôt dans son
Journal politique ; la boutade... ou la prophétie a été lancée sur le
quai de la gare de Munich que les deux hommes s'apprêtent à quitter
après y être arrivés le matin même [...] > LIRE LA SUITE
MAURICE SCHUMANN
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De Gaulle, la guerre et le verbe
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Le
plus prestigieux des hommes politiques français du XXe siècle n'a écrit
qu'un seul ouvrage qui traite directement de philosophie politique : le Fil de l'épée.
Et pourtant, en dépit de ce titre qui pourrait prêter à malentendu, la
pensée du général de Gaulle se distingue autant qu'il est possible des «
philosophies de la violence » qui, sous la forme des totalitarismes,
ont, à bien des égards, dominé ce même XXe siècle. Elle en est même, en
conformité avec ce que fut le rôle historique de ce grand homme dans les
grandes crises du siècle, l'antidote.
Par « philosophies de la violence », nous entendons la postérité
intellectuelle de Hegel, qui, ainsi que l'a montré Hannah Arendt, sous
la double forme du marxisme-léninisme et du nazisme, à travers Marx et
Sorel, a fondé son action sur le principe qu'il n'y a pas de valeurs
transcendantes ou permanentes, mais que les valeurs sont le produit de
l'Histoire, une Histoire dont la violence est l'accoucheuse : en résumé,
pour ces philosophies qui ont abouti aux aberrations totalitaires que
l'on sait, le droit est la « raison du plus fort ».
« Le Fil de l'épée »
Il
ne manque certes pas de passages dans l'œuvre de Charles de Gaulle qui
pourraient laisser penser qu'il fait siennes les vues des idéologues que
l'on vient d'évoquer, qu'il considère lui aussi la violence comme la
maîtresse de l'Histoire. « L'épée est l'axe du monde », jette-t-il en
exorde à Vers l'armée de métier ; on trouve au début du Fil de l'épée
cet éloge appuyé de la force : « Recours de la pensée, instrument de
l'action, condition du mouvement, il faut cette accoucheuse pour tirer
au jour le progrès » et dans la France et son armée, il précise
: « La France fut faite à coups d'épée. Nos pères entrèrent dans
l'Histoire avec le glaive de Brennus. Ce sont les armes romaines qui
leur portèrent la civilisation. Grâce à la hache de Clovis la patrie
reprit conscience d'elle-même après la chute de l'Empire. La fleur de
lys, symbole de l'unité nationale, n'est que l'image d'un javelot à
trois lances. »
Plus que l'esprit de classe ou les idéologies, l'esprit national
constitue pour lui, on le sait, la force principale de l'Histoire : que
les grands États européens aient été forgés par la guerre est donc loin
d'être indifférent à sa vision du monde. C'est pourquoi la tentation a
existé, et d'abord chez ses adversaires, d'identifier la pensée
gaullienne aux philosophies de la violence, génératrices de dictatures -
et par la même occasion de suspecter chez lui des ambitions
dictatoriales. Ce serait pourtant là un contresens. La première raison
en est que, chez de Gaulle, la nation, si elle s'édifie dans la
violence, dans son essence lui est antérieure. Elle n'est pas seulement
le produit contingent des combats qui ont permis sa genèse ; elle
précède ces combats, et dans une certaine mesure, par exemple dans
l'Europe pacifiée d'aujourd'hui, elle leur survit [...] > LIRE LA SUITE
ROLAND HUREAUX
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De Gaulle mystique
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À
Londres, pendant la guerre, le général de Gaulle écrivait seul ses
discours – une habitude qu’il conservera – et personne ne peut se
targuer de l’avoir influencé dans la rédaction de l’un ou l’autre de ses
messages. Une fois pourtant, le fondateur de la Ve République semble
bien s’être rangé à l’opinion de son entourage. Quelques mois après son
arrivée au Royaume-Uni, racontait son aide de camp Claude
Bouchinet-Serreulles, il préparait une allocution à destination du
territoire national occupé et s’était placé sous l’invocation de
Notre-Dame de France – référence explicite à Charles Péguy. Ayant eu
vent de ce projet, plu-sieurs de ses collaborateurs – dont
Bouchinet-Serreulles – lui déconseillèrent cette allusion. Dans la
capitale britannique se trouvait en effet un groupe de Français
particulièrement sourcilleux en matière de républicanisme et il
paraissait inutile à ces proches du Général de leur offrir un prétexte
pour alimenter leur suspicion. Le Général, en définitive, se rangea à
leurs arguments.
L’anecdote prouve, s’il en était besoin, combien de Gaulle avait une
conception quasi mystique de son pays. Ce patriotisme aux accents
presque charnels, il l’avait hérité de ses parents, tous deux ardemment
catholiques. Personne ne sait vraiment quelles étaient l’intensité et la
profondeur des convictions religieuses du Général mais il est certain
que, pour lui, les racines chrétiennes de la France ne faisaient guère
de doute, le baptême de Clovis étant à ses yeux le début d’une histoire
qu’il employa toute son énergie à prolonger. Partant, on comprend mieux à
quelles sources s’alimenta le puissant sentiment national qui
l’animait.
«
Cette certitude, jamais dissimulée, d’incarner la France éternelle
valut à de Gaulle des attaques dont on peine à imaginer aujourd’hui la
violence. »
Comme
tous les jeunes gens de son milieu et de sa génération, il avait lu
Charles Maurras. La critique par ce dernier du système parlementaire, la
définition également d’un certain rôle de la France dans le monde, tout
cela l’avait sans doute intéressé mais sans le convaincre pleinement.
L’antisémitisme de l’auteur d’Anthinéa ne pouvait que lui être
étranger et aussi une vision trop arbitraire de l’histoire nationale,
amputée par esprit de système singulièrement à partir de la Révolution.
Pour de Gaulle, quelles qu’aient pu être ses préférences, l’histoire de
France, nécessairement, était une et ce fut donc auprès de Péguy et de
Barrès qu’il trouva ses vrais inspirateurs. À l’égard de Péguy, il ne
cacha jamais sa dette et l’écriture de ses Mémoires en porte
témoignage avec de longs passages, presque psalmodiés où s’exprime sa
foi en l’éternité de sa patrie. « La République une et indivisible,
c’est notre royaume de France », disait Charles Péguy. De Gaulle aurait
pu faire sienne intégralement cette formule.
À l’égard de Maurice Barrès, il aura moins l’occasion de dire
explicitement son admiration sinon dans une lettre adressée à Jean-Marie
Domenach (auteur de Barrès par lui-même) où il évoque à propos de l’auteur de la Colline inspirée :
« Ce déchirement de l’âme, si l’on veut de désespoir, qui m’a toujours
entraîné vers lui. » Le jugement sans doute ne valait pas absolution
pour les erreurs de Barrès au moment de l’affaire Dreyfus mais il est
évident que la sensibilité du Général ne pouvait que s’accorder avec la
conception de la continuité française exaltée par Barrès. À l’inverse de
Maurras, ce dernier refusait de couper l’histoire nationale en morceaux
et, pareillement, durant la Grande Guerre, il célébra l’apport au génie
français de toutes les familles spirituelles, sans aucune distinction.
Si, pour Maurras, la France était une idée, donc malléable, pour Barrès
elle constituait une personne vivante que l’on devait respecter avec ses
qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses. Tout au long de
sa vie, de Gaulle ne dira pas autre chose, ce qui explique qu’en 1940,
venu d’un milieu traditionaliste et catholique, il ait eu le génie
d’assumer toute l’Histoire, de rassembler tous les courants sur ce mot
d’ordre simple : la sauvegarde de l’intérêt national.
Cette certitude, jamais dissimulée, d’incarner la France éternelle
valut à de Gaulle des attaques dont on peine à imaginer aujourd’hui la
violence. Certains républicains de stricte obédience n’hésitaient pas à
l’accuser de fascisme. La République reposait sur l’héritage des
Lumières et l’avoir vue sauvée, après le naufrage de juin 1940, par un
homme étranger aux « immortels principes » constituait une potion très
amère pour beaucoup de politiques. Il a fallu que le temps fasse son
œuvre pour que l’on consente à admettre que la mystique qui avait porté
de Gaulle et lui avait donné la force de dire non en 1940 n’était en
rien totalitaire [...] > LIRE LA SUITE
ÉRIC ROUSSEL
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Juin 2020, dans la Revue des Deux Mondes
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SYLVAIN TESSON
Sauver notre civilisation
Éditorial
Racines
Par Valérie Toranian
Dossier - L'arbre, un modèle de civilisation
Francis Hallé : par amour des arbres - Eryck de Rubercy
Comment les arbres nous construisent-ils ? - Jacques Tassin
Jean Giono, la passion des arbres - Jacques Mény
Abeilles, arbres et paysages - Yves Darricau
Et aussi : Ernst Zürcher, Michel Delon, Philippe Trétiack, Marin de Viry, Kyrill Nikitine
Grand entretien
Sylvain Tesson, confession sans tabou
Littérature
La mort de Jean d’Ormesson
Par Marc Lambron
Hommage
Philippe Séguin dix ans après - Marc Ladreit de Lacharrière, Mathieu Bock-Côté, Saïd Mahrane, Frédéric Fogacci et Arnaud Teyssier
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