UNE EXPÉRIENCE RATÉE OU...
Dans ce livre de 1962 qui est le compte-rendu d'une conférence annuelle sur la fédération canadienne en 1961, on trouve le texte de la présentation historique du Dr Marcel Chaput, co-fondateur du Rassemblement pour l'Indépendance Nationale et fondateur du Parti Républicain du Québec.Ce document pratiquement introuvable est important car il marque le départ de diverses ruptures. M. Chaput, docteur en biologie, était chercheur dans un laboratoire fédéral à Ottawa. Or, il avait été invité par les organisateurs à prononcer une conférence à cet évènement après la parution de son livre, « Pourquoi je suis séparatiste ». Comme son patron, un unilingue anglophone, lui avait refusé la permission d'y aller, il décida de démissionner peu de temps après car il s'attendait à être congédié, ce qu'il ne voulait pas, en homme d'honneur qu'il était.
Le texte complet de sa conférence suit...
L'avenir du Canada: séparation, intégration, ou...?
Marcel Chaput
La situation dans laquelle je me trouve aujourd'hui me rappelle une
certaine Confédération. Il est, sur le sol d'Amérique, un immense pays nommé
Canada, où, des dix provinces qui le composent, neuf, identiques par la pensée,
font mur commun contre une autre de langue et de culture différentes. De tout
leurs poids de 13 millions d'habitants anglophones, ces neuf provinces chantent
les gloires d'une Confédération qui assure avec tout le succès souhaité la
suprématie de leur dollar et de leur langue.
Neuf contre un, ce rapport numérique très
Canadian se retrouve au
lutrin de ce Congrès. L'arithmétique en est facile: des dix conférenciers que
vous avez ou aurez entendus, neuf
furent choisis, comme par hasard, pour leurs convictions « fédéralisantes »; un seul — votre humble serviteur, de séparatiste
notoriété — ayant droit de « rouspétage » contre le BNA Act, de lugubre
mémoire.
Je ne devrais donc pas être ici aujourd'hui pour
des raisons d'inégalité dans le combat et de refus de la Constitution. Mais il
fallait, comme dans tout bon débat, une voix discordante pour faire apprécier
l'harmonie des neuf autres. Casse-cou par nature, j'ai relevé le défi et j'ai
consenti à m'exposer à l'écrasement par neuf grands Canadiens de si vénérée
réputation. Après tout, les séparatistes ne sont pas sérieux, dit-on; pourquoi
ne pas les laisser nous divertir un peu?
Mais le moins sérieux des deux n'est pas celui qu'on pense. Car il y a
matière à faire rigoler historiens et philosophes de voir des hommes graves, de
par leurs fonctions de pesants journalistes, d'intègres professeurs ou de
probes politiciens, de voir ces hommes, dis-je, s'évertuer à défendre, neuf
contre un, à ce tournant de la pensée politique, l'impérialisme d'Ottawa
contre la nation canadienne-française, alors qu'ils prêchent tous d'une plume
attristée la libération du monde.
Mais attaquons le problème qui nous occupe aujourd'hui, non pas
comme d'habitude celui de la survivance française en Amérique, mais bien celui
de la survivance de la Confédération canadienne.
HÉLAS LA PAUVRE, ELLE SE MEURT; ELLE AURAIT BIENTÔT CENT ANS
La Confédération canadienne — qui n'en est pas
une — se meurt, non pas tellement qu'elle serait (prière de noter le
conditionnel) centenaire, par son âge et par le nombre de millions que sa fête
nous coûterait, mais bien parce qu'elle est, pour les six millions de Canadiens
français qui l'habitent, la concrétisation d'un colonialisme dépassé.
A la question : "Canada — intégration, séparation ou.. .?" je
réponds donc "séparation et indépendance du Québec" parce que dans la
Confédération canadienne — qui n'en est pas une — le Québec, mère-patrie des
Canadiens français, est purement et simplement, et quoi qu'en disent mes
illustres collègues à cette tribune, une colonie d'Ottawa.
CANADA FRANÇAIS, COLONIE D'OTTAWA
Je sais que cette expression, "Québec, colonie d'Ottawa",
fait sourire les Anciens qui ont appris à s'accommoder des termes et des
situations. Mais leur ironie ne change rien à la vérité des mots pour les
jeunes de tous âges dont la lucidité n'a pas encore été obnubilée par la
nécessité des compromis.
LE QUÉBEC EST DONC UNE COLONIE D'OTTAWA ET EN VOICI LA PREUVE
Sur le plan historique, Québec était, il y a
deux siècles, un territoire habité par un peuple de langue française et ce
territoire fut envahi par une armée étrangère au peuple qui l'habitait. La
domination anglaise s'est donc établie au Québec par la force des armes et
s'est maintenue par la force des armes jusqu'au jour où elle fut remplacée par
la force du nombre et des institutions politiques et économiques entre les
mains d'anglophones.
Dans cette domination, 1867 n'a rien changé, puisqu'à
date, les Canadiens français, c'est-à-dire le Québec, n'avaient pas le choix
entre la Confédération et l'indépendance, mais bien le choix — d'ailleurs
jamais ratifié par le peuple — entre la Confédération et le statut de colonie
britannique isolée. Qu'on me démontre qu'au cours de son histoire le Québec, ou
les Canadiens français, ont refusé de devenir indépendants et je retirerai mes
paroles. L'histoire des Canadiens français est donc semblable à celle de toutes
les colonies du monde, émancipées ou non.
On ne refait pas l'histoire. Mais on
n'efface pas non plus les faits historiques. Les Canadiens français sont un
peuple conquis et ils ne se sont jamais relevés de la Conquête, si bien que,
sur les plans culturel, social, économique, politique et militaire, ils sont
encore un peuple colonisé.
S'il est faux que les Canadiens français en sont
encore au statut colonial dans leur pays, le Canada, comment expliquer alors
que le Québec soit, des dix provinces de cette Confédération — qui n'en est pas
une — de par la Constitution et de par le poids de l'administration
d'Ottawa, la seule province bilingue. Il y a donc au départ une inégalité de
traitement inscrite dans la Constitution.
De cette inégalité constitutionnelle,
il s'ensuit que la moitié des Canadiens français ne peuvent pas gagner leur
pain et celui de leurs familles sans apprendre une langue étrangère. Il s'ensuit que le français dans l'administration
fédérale et dans la grosse entreprise est, quelquefois et au mieux, une langue
de traduction et jamais une langue de pensée et de travail. Si ce n'est là du
colonialisme culturel, instruisez-moi, je vous prie, comment appelle-t-on cela
?
Comment
appelle-t-on, sinon colonialisme social, cet état de chose qui fait que six
millions de Canadiens français sont, dans leur pays, le Canada, maintenus à
l'écart des postes administratifs, tant dans la fonction publique, dans
l'entreprise privée que dans les forces armées ? Comment expliquer par un autre
mot que colonialisme, le fait que dans l'administration fédérale, les Canadiens
français ne détiennent — d'après un mémoire du Conseil de la Vie française et
non une étude du RIN — seulement 10 p. 100 des postes au lieu de 30 p. 100, et
que ces 10 p. 100 soient à peu près tous situés eux échelons inférieurs ?
Comment
appelez-vous, par un terme autre que colonialisme, le fait que seul l'anglais
est langue officielle dans les forces armées et qu'un Canadien français ne peut
mourir en français pour son propre pays ? Avez-vous un autre mot que
colonialisme pour décrire le traitement infligé aux minorités catholiques et
canadiennes-françaises de neuf provinces qui sont obligées de se battre
quotidiennement pour une modeste heure de français et de religion dans un pays
qu'on dit être le leur ?
Quel terme autre que colonialisme pouvez-vous inventer
pour qualifier l'attitude du gouvernement canadien à l'étranger? En 15 ans de
représentation à l'ONU, le Canada n'a à peu près jamais fait entendre une voix
française. Son Excellence M. Paul Tremblay, Canadien
français comme moi, nous en a fait la preuve il y a quelques jours, et nous
devons l'en remercier chaleureusement. Pour être pratique, dit-il, il
lui a fallu parler anglais aux Nations Unies. Et même quand il obtint
finalement la permission de parler français, ce fut dans un français de
traduction. Quelle plus belle preuve que les paroles de M. Paul Tremblay pour démontrer que le français officiel au Canada
n'est qu'une façade, une mince couche de mauvais vernis. Combien de temps,
messieurs les Anglais, toléreriez-vous d'être pratiques au prix de l'anéantissement
de ce que vous avez de plus cher, votre langue, vos traditions, vos droits ?
Là
s'arrête-t-il le colonialisme que subit le Québec? Hélas non. Et l'économie? Ce
peuple canadien-français, si riche de talents et d'espoir, que possède-t-il de
sa terre, de son patrimoine, de son sous-sol, de ses forêts, de son commerce, de son industrie, petite ou grande ? Il en possède une
parcelle, il en possède les miettes. Comptant pour 85 p. 100 de la population
du Québec, les Canadiens français possèdent 10 p. 100 de l'économie de leur
province. Et je vous fais grâce d'un bilan en bonne et due forme. Économiquement, les Canadiens français du Québec ne sont pas maîtres chez eux,
et ça, ça s'appelle du colonialisme.
Vous me direz
que c'est leur faute, qu'ils n'avaient qu'à se préparer davantage, qu'à
apprendre plus d'anglais peut-être, et que sais-je encore. Et moi je vous dis
que depuis 200 ans, le peuple canadien-français a mené une vie de tutelle, que
depuis 200 ans, la nation canadienne-française n'a pas vécu la même histoire
que les anglophones. La différence qui existe sur tous les plans entre
l'histoire du Canada anglais et celle du Canada français est la différence
qu'on découvre entre l'histoire du conquérant et l'histoire du conquis,
l'histoire de l'impérialiste et l'histoire du colonisé.
TUTELLE POLITIQUE
Je crois entendre des voix qui me rappellent que dans une colonie, les
habitants n'ont pas, comme nous, le droit de vote et le droit d'être élus. Pour
ceux qui considèrent le Québec une province comme les autres, ils ont raison;
le Québec a les mêmes droits que les autres provinces. Mais la réalité
canadienne veut que le Québec ne soit pas une province comme les autres. C'est
l'Etat national des Canadiens français. Et considéré comme tel, le Québec est
de fait une colonie d'Ottawa.
Démographiquement, les Canadiens français du Canada
comptent pour environ 29 p. 100. Dans 40 ans, disent
certains démographes, ils ne seront plus que 20 ou même 17 P. 100.
Ils n'ont donc pas la force du nombre. Leur Etat, le Québec, n'est, dans la
famille des provinces, qu'une sur dix. Ils ne comptent à la Chambre des
Communes que 75 députés de langue française sur un total de 265, soit 28 p.
100. C'est dire que, politiquement, les Canadiens français n'exercent pas la
maîtrise de leur destin national. Si un projet d'importance pour la nation
canadienne-française présenté aux Communes ne plaît pas aux députés de langue
anglaise, le projet est bloqué. L'histoire des 94 années de Confédération est
là pour le prouver.
A ceux donc qui voient dans le BNA Act la garantie des libertés des
Canadiens français, je pose la question. Comment appelez-vous un peuple qui est
tenu de laisser à un autre peuple la maîtrise de ses affaires nationales
et internationales ? Moi, je l'appelle une colonie, et tous les dictionnaires
du monde, comme moi, appellent ce peuple UNE COLONIE.
UNE MINORITÉ PAS COMME LES AUTRES
Après vingt ans de contact quotidien avec des anglophones d'Ottawa ou
d'ailleurs, je sais fort bien l'argument qu'ils m'apporteront en
réfutation de cette constatation que Québec est une colonie d'Ottawa. Que
voulez-vous de plus ? Vous êtes une minorité. De quoi aurait l'air le Canada
si toutes les minorités: italienne, allemande, ukrainienne, polonaise et autres
décidaient un jour, comme vous les Canadiens français, que leur représentation
politique est insuffisante, qu'elles veulent, elles aussi, des écoles de
leurs langues et de leurs religions ? Cet argument, neuf Anglo-canadiens sur
dix l'emploient.
Piètre pays bilingue où la majorité anglaise n'a
pas encore compris, après 94 ans de co-existence,
que la minorité française n'est pas une minorité comme les autres. Ils n'ont
pas encore compris que les Canadiens français ne forment une minorité que par
la relation du nombre, c'est-à-dire qu'ils sont une minorité numérique, mais
— du moins les Canadiens français l'ont toujours cru dans leur naïveté — non pas une minorité juridique ou constitutionnelle. Nos compatriotes
de langue anglaise font mine de ne pas savoir que les Canadiens français
étaient ici avant eux et qu'il existe dans leur histoire, vieille de 350 ans,
une continuité que la Conquête de 1760 n'a pas brisée. Ils feignent d'ignorer
qu'un immigrant a rompu ses attaches avec son pays d'origine le jour où
il accepta la citoyenneté canadienne. L'italien, l'allemand, l'ukrainien, le
polonais sont des langues qui n'ont aucun statut constitutionnel au Canada.
Elles n'ont aucun droit à devenir des langues officielles.
Tout autre est, ou devrait être, le statut de la
langue française. C'est la langue maternelle de six millions, soit de 29 p. 100
de Canadiens qui sont les descendants des pionniers et des fondateurs de ce
pays. Si les Canadiens français sont une minorité comme les autres, pourquoi
alors dit-on le français officiel en certains milieux, au Québec, au Parlement
d'Ottawa, dans les cours fédérales de justice, et en temps d'élections ?
NOUS NE RÉCLAMONS POINT LE BILINGUISME
Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de ces paroles. Ceux qui avec
le RIN demandent l'indépendance du Québec, les soi-disant séparatistes de la
nouvelle vague, ne viennent pas ici réclamer un juste traitement de la langue
française, une plus grande diffusion de la pratique du bilinguisme, l'obole
d'un drapeau, d'un hymne ou de chèques bilingues. Les Canadiens français n'en
veulent pas. Ils ne viennent pas non plus tenter d'amener les anglophones à
corriger des injustices commises envers eux.
Pour les séparatistes d'aujourd'hui,
pour ceux qui répondent par le mot séparation à la question de ce
Congrès, le temps des récriminations, le temps des pleurs est passé.
Passé aussi est le temps des courbettes, des agenouillements et des
compromis. Passé est le temps d'un bilinguisme unilatéral. Passé est le
temps de la servitude et de la tutelle. Les Canadiens français sont
devenus un peuple adulte qui refuse de
vivre la vie de minorité constamment en butte à une majorité anglophone qui
est toujours la même. Les Canadiens français d'aujourd'hui et de demain, tout à coup conscients de leur force et de leur
capacité, décident de devenir les seuls maîtres de leur vie nationale.
LA MINORITÉ FRANÇAISE : LA PLUS IMPORTANTE AU CANADA
Il s'en trouvera dans cette salle pour tenter un dernier effort en vue de
nous amener à une nouvelle soumission. Ils nous diront, le sanglot dans la
voix, ou écriront, le vibrato dans la plume, que la minorité
canadienne-française est la plus importante minorité au Canada et plus
nombreuse que les minorités britannique, irlandaise, écossaise ou autres.
Heureusement que les Canadiens français savent compter jusqu'à 18. Ils savent
que peu importe la provenance géographique ou culturelle de ces minorités,
elles se sont groupées pour devenir 13 millions d'anglophones.
La situation des
Canadiens français n'est donc pas celle d'une importante minorité parmi tant
d'autres. C'est une nation de langue française face à une autre nation de
langue anglaise. Il n'y a pas au Canada 20 minorités différentes, 10 provinces
différentes, il y a un Canada français de 5 à 6 millions et un Canada anglais
de 12 à 13 millions. L'instinct élémentaire de conservation, autant que la
dignité, commande à la nation canadienne-française de s'émanciper, de secouer
le joug de 200 ans de tutelle pour accéder à la souveraineté.
NOUS AVONS BESOIN DE VOUS
D'autres, poètes égarés dans la jungle de la politique, font appel à notre
grand coeur pour les aider à sauver du melting pot cette pauvre
minorité britannique, orpheline depuis George Washington. Ne vous rendez-vous
pas compte, vous Canadiens français, nous crient-ils, l'oeil mouillé, que vous
êtes la seule planche de salut de notre bien-aimé British Canada menacé
d'être avalé par son voisin les Etats-Unis? Ne voyez-vous pas, ingrats
Canadiens français, que nous avons besoin de vous pour survivre? Ingrats que nous sommes en effet;
cet appel ne nous attriste pas le moins du monde.
Nous vous aimons bien; nous
ne vous voulons aucun mal, nous croyons, nous aussi, que vous avez besoin du
Canada français pour survivre à l'américanisation, mais nous ne croyons pas que
nous devions nous anéantir nous-mêmes pour assurer la suprématie anglaise. Dite
brutalement, cette vérité s'énonce comme suit : vous avez peut-être besoin des Canadiens
français pour survivre, mais les Canadiens français n'ont pas besoin de vous
pour grandir.
Le Canada français qui depuis 200
ans mène une vie de tutelle, de servitude, enfin se lève, retrouve sa dignité
perdue, et entreprend, sans amertume et sans haine, de reconquérir son bien et
son âme, en exigeant la souveraineté du Québec, sa mère-patrie. Nation, elle
veut être traitée comme telle. Elle veut la maîtrise de sa politique, de son
économie, l'orientation de sa culture; elle veut atteindre l'épanouissement
auquel a droit toute nation, elle veut jouer un rôle international. Bref, elle
veut faire oeuvre de civilisation.
Et pour atteindre ce but,
les structures constitutionnelles du Canada d'aujourd'hui sont désuètes. Ce
n'est pas de l'autonomie d'une province, nom technique de l'immobilisme
politique, qu'elle veut : c'est de la pleine maîtrise de ses destinées. Ce ne
sont pas des droits qu'elle recherche: ce sont des libertés, ses libertés
qu'elle exige.
L'honorable Davie Fulton apprenait, tout heureux, à son auditoire lors du banquet
d'ouverture, mercredi, que son gouvernement était à préparer une législation
qui garantirait l'application des droits des Canadiens français. C'était à
prévoir que devant la montée fulgurante de l'idée de l'indépendance, le
gouvernement anglophone d'Ottawa, pris de panique, ferait des propositions, des
promesses, des concessions même.
Je regrette
de refroidir l'enthousiasme de l'honorable Fulton, mais l'annonce de cette
législation, toute prometteuse qu'elle semble, ne prouve qu'une chose en somme:
c'est-à-dire que le cabinet d'Ottawa n'a rien compris. Ottawa, comme
bien d'autres n'a pas encore compris que toute la législation protectrice,
toutes les plus belles promesses ne changent rien à notre problème
puisque — faudra-t-il le répéter cent fois, mille fois — nous ne voulons
plus être une minorité. Aucune concession, aucun compromis ne pourrait nous
satisfaire, ne pourrait nous sortir de la condition d'infériorité numérique
dans laquelle nous sommes.
Ici, je fais appel à mes compatriotes de langue
française, aux citoyens du Québec qui, avec nous, aspirent à la souveraineté.
Je les mets en garde : le pire ennemi de notre indépendance vient de bouger,
vient de parler. Ce n'est plus, comme au temps jadis, les armes, la force, ce
n'est pas la menace d'une famine, d'une dépression qui nous guettent. Le pire
ennemi de la future souveraineté du Québec, de la libération prochaine du
Canada français s'est fait entendre par la voix chaleureuse et prenante de l'honorable
Davie Fulton.
Cet ennemi, ce n'est pas l'honorable Fulton, ce
n'est pas le cabinet qu'il représente. Ce sont les promesses qu'il
apporte. Et même tenues, ces promesses, ces corrections resteront
quand même l'ennemi du Canada français parce qu'à cause d'elles, notre peuple
est menacé de sacrifier la proie pour l'ombre, de céder à l'illusion d'une
demi-mesure facile. Le Canadien français a connu si peu ce que c'est qu'une vie
nationale bien à lui, ce que c'est que la dignité nationale non offensée, qu'un
tout petit rien promis par les grands de la politique d'Ottawa le comble de
satisfaction et lui fait oublier ses malheurs passés.
D'ailleurs, je ne vois pas très bien de quoi nous,
Canadiens français, nous nous réjouirions. Je lisais hier matin le compte rendu
du discours de M. Fulton publié dans la Gazette de Montréal. Je n'y ai
même pas lu, une seule fois, le mot French
Canadians. On y lit "an amendment to the BNA Act which would safeguard Quebec's character and identity" ou encore
"entrenchment of those
things which are essential
to the preservation of the separate identity
and character of
Quebec." Et
plus loin "But the formula would give those
things of unique importance to Quebec
such a place and such a standing. . ." etc. Qu'est-ce que cela démontre sinon qu'Ottawa est prêt à reconnaître les
droits des Canadiens français pour autant qu'ils sont confinés à la réserve québecoise et que la population anglophone garde la
primauté du nombre et des décisions.
Ce discours
de M. Fulton est un discours historique, non pas à cause de la transcendance de
ses paroles, mais bien parce qu'il est identique dans sa forme à tous les
discours de tous les représentants de toutes les métropoles prononcés en
réponse aux premiers soulèvements de toutes les colonies du monde, c'est-à-dire
des promesses de réforme.
Si seulement
Ottawa était sincère, il n'aurait pas délégué M. Fulton pour nous dire, à nous,
que le Québec pourra garder sa personnalité, à la condition, non avouée, de
rester une province sur dix, mais il aurait
demandé à M. Fulton d'aller informer les neuf provinces anglaises que désormais
il n'y aura plus dix provinces, mais plutôt deux
Canada, le Canada français et le Canada anglais, unis dans une véritable
confédération. Car seule la véritable confédération peut placer le Canada
français unilingue sur un pied d'égalité avec le
Canada anglais, lui aussi unilingue. Par ses propos flatteurs et miroitants, le cabinet fédéral, dont M. Fulton est
aujourd'hui la voix, nous dit en substance: "Quebec yes: but long live
English supremacy in
Canada".
Comment
d'ailleurs prendre les promesses de l'honorable Fulton au sérieux? Le Canada
anglais a mis 94 ans à découvrir la présence des Canadiens français, et d'après
M. Fulton lui-même le bilinguisme sera lent à se répandre. Ecoutez bien, et je
cite un extrait de son discours de mercredi. "Mais, dit le ministre, des
progrès ont été accomplis. Témoin, les efforts faits par les membres du cabinet
fédéral et par de nombreux autres Anglo-canadiens d'Ottawa pour apprendre le
français. Mais il s'agit là d'une entreprise d'envergure qui requerra beaucoup
de temps et d'efforts et dont les effets substantiels ne se feront sentir que
dans l'avenir. C'est le
travail d'au moins deux générations".
M. Fulton, tout comme votre
collègue M. Pearson la semaine dernière, vous vous méprenez lamentablement sur
la patience et la soumission des Canadiens français. Permettez-moi de vous le
répéter : ce n'est pas de quelques droits que nous voulons dans
la Confédération, nous ne voulons plus être une minorité.
SÉPARATISME CANADIEN
Si dans un instant de méditation politique, M. Michael Oliver, les
autres orateurs du Congrès, M. Fulton et ses confrères du cabinet veulent
comprendre les raisons du séparatisme québécois et canadien-français, ils n'ont
qu'à examiner leurs propres motifs de vouloir un Canada indépendant des
Etats-Unis ou de l'Angleterre. Eux, ils reconnaissent au Canada le droit et
l'opportunité d'avoir une existence propre et distincte de celle de leur
voisin, les Etats-Unis, alors qu'ils sont identiques par la langue et la
mentalité.
Si les Anglo-Canadiens ont le droit et reconnaissent le bien-fondé
d'être séparatistes vis-à-vis des Etats-Unis, ils sont obligés d'admettre que
le Québec, l'Etat national des Canadiens français, a cent fois plus raison de
l'être. Ce qui veut dire, en termes très simples: tout comme Ottawa refuse de
remettre la protection de ses droits et la maîtrise de ses affaires
entre les mains de Washington, le Québec, les Canadiens français
refusent de remettre la protection de leurs droits et la maîtrise de leurs
affaires entre les mains d'Ottawa. Nous voulons tout simplement désormais être
les seuls maîtres chez nous.
EN RÉSUMÉ
Ainsi donc, les Canadiens français se lèvent aujourd'hui pour réclamer la
souveraineté de leur Etat, le Québec, comme l'a fait à un moment de son
histoire chacune des 104 nations membres de l'ONU, parce que, premièrement, les
Canadiens français forment une nation, deuxièmement, parce que cette nation
aussi a droit à la liberté et à la dignité, troisièmement, parce
qu'effectivement, mieux que dans sa participation minoritaire à un Canada dit
bilingue, sa souveraineté lui assurera son plein épanouissement, et
quatrièmement, parce que la nation canadienne-française ne peut que par la
souveraineté de son État du Québec jouer le rôle international qui lui revient. Si dans sa vie de pays souverain,
le Québec doit transiger avec ce qu'est aujourd'hui le reste du Canada, il le
fera sur le plan international, comme le Canada actuel le fait avec les États-Unis et tous les autres pays au monde.
En recherchant ainsi la souveraineté du Québec, les
Canadiens français ont conscience de faire oeuvre de civilisation parce
qu'aucune nation ne peut atteindre son plus grand épanouissement sans posséder
la pleine maîtrise de ses destinées.
L'indépendance du Québec n'est donc pas le rêve fantaisiste d'une poignée
de séparatistes en quête de tapage, c'est tout simplement l'aspiration légitime
d'un peuple jadis conquis sur les champs de bataille et qui, après 200 ans de
vie coloniale, lutte pour sa libération.
SUMMARY
The Canadian Confederation — which really isn't one — is the concretization of an outmoded colonialism; for Quebec, mother-land of six million French Canadians, is simply a colony of Ottawa. Its future will be: separation and independence.
Historically, English domination over Quebec was established and maintained by force of arms, later replaced by force of economic and political institutions. Confederation was never ratified by the people, and Quebec's only alternative was not independence, but the status of an isolated British colony.
Most French Canadians must learn English to earn a living; forming 29% of the population of Canada, they hold only 10% of federal posts, mostly inferior; forming 85% of the population of Quebec, they own only 10% of its economy; English is the only official language in the armed forces; and so on. This is colonialism: how long would English Canadians tolerate it? True, Quebec has the same rights as other provinces; but it is not just another province — it is the national State of French Canadians, who, outnumbered, cannot control their national destiny in the House of Commons. And French Canadians, juridically and constitutionally, are not just another minority; they are not immigrants — they were here first. And all other minorities, through assimilation, become English Canadians eventually.
But today's separatists are not asking for justice from English Canada. It is too late for that. French Canadians do not want to be a minority any longer. This may mean that the rest of Canada will be absorbed by the U.S.A. — but we cannot be expected to sacrifice ourselves in order to preserve English supremacy in Canada.
Mr. Fulton's announcement of his government's panicky proposals to guarantee French Canadian rights simply proves that the cabinet has understood nothing: we do not want concessions, but the full mastery of our destiny — our right as a nation. But such promises of half measures are the worst enemy of the cause of independence. Reforms are always promised to colonies; but Quebec would still remain one province out of ten. If Ottawa were sincere, Mr. Fulton would have told the nine English provinces that henceforth there will be a real confederation — of two Canadas, English and French; but in effect he said "Quebec yes: but long live English supremacy in Canada !"
To understand French Canadian separatism, the cabinet should examine their own reasons for wanting Canada independent of England or of the U.S.A., with which they are even identical in language and outlook. If this separatism is justified, Quebec's is a hundred times more so.
In summary, French Canadians claim the sovereignty of Quebec because they form a nation which has a right to freedom and dignity; only thus can it ensure its full development and play its rightful international role. The independence of Quebec is the legitimate aspiration of a once-conquered people struggling for liberation after 200 years of colonial rule.
Dr. Marcel Chaput is President of the Rassemblement Pour l'Indépendance
Nationale, the leading French Canadian separatist organization, to
which position he was -elected at the RIN's first national convention, on Oct.
29, 1961. He had previously been Vice-President of the movement. He is also the
author of Pourquoi
je suis séparatiste, which has so far sold 35,000 copies in French, and has
recently been published in English under the title Why I Am a Separatist. He
was born in Hull in 1918, and studied at the University of Ottawa and the Ecole
Technique in Hull. During the war he served 44 months in the Canadian Army,
and later obtained his doctorate in biochemistry from McGill University. In
1952 he entered the service of the Defence Research Board in Ottawa. When his
superiors at the DRB refused to grant him leave to address the Congress on
Canadian Affairs on Friday, Nov. 17, he absented himself without leave, saying
that he had given his word to speak at the Congress. On his return to Ottawa
after a tumultuous welcome in Quebec, he was suspended from his job for two
weeks. He subsequently resigned from the Board.
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Document numérisé par Jean-Luc DION
Janvier 2020
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