Démocratie, l’urgence d’agir… autrement
Jean-Yves Proulx
L’urgence climatique
Il y a eu les COPs de Copenhague,
de Kyoto, de Paris, de Bonn : toujours pas de véritable entente. Pourtant « au-delà de cette limite (1,5 °C), les rendements agricoles, donc la sécurité alimentaire, pourraient être compromis, et la hausse
du niveau de la mer menacera une partie du littoral (plus de la moitié des 20
plus grandes villes de la planète sont portuaires). Sans
aucune politique climatique, les experts s’attendent à un réchauffement pouvant atteindre
jusqu’à 4,8 °C à la fin du
siècle.1
Et on continue à investir massivement dans les énergies fossiles…
L’urgence
environnementale
L’Union européenne vient de renouveler pour
5 ans l’autorisation du glyphosate classé
« cancérogène probable » par le CIRC, une agence de l’OMS composée de scientifiques
internationaux, et ce, malgré les protestations de nombreux
scientifiques. Le Canada,
dans l’indifférence la plus totale, vient d’en renouveler l’autorisation pour…
15 ans.
Parallèlement, Marie-Monique Robin publiait Le Monde selon Monsanto, Notre poison quotidien, Le Roundup face à
ses juges et André Cicolella, Toxique Planète, pour ne
citer que ces deux lanceurs d’alertes qui mettent en évidence la « responsabilité de l’industrie chimique dans l’épidémie des maladies chroniques ».
Et
tout récemment, sortait en Europe
le documenaire Demain, tous crétins?2 « ou les dégâts des perturbateurs endocriniens sur
le cerveau ».
L’espérance de vie continue de croître, l’espérance de vie sans incapacité, elle, décroît depuis 20063.
L’urgence
économique
Alors qu’on soutient que les États doivent s’attaquer à leur endettement, ces
mêmes États
diminuent
leurs recettes en accordant, budget après budget, des réductions d’impôts aux
mieux nantis et aux entreprises en prétendant que cela va créer des emplois. Comment peut-on espérer stimuler la demande en augmentant l’offre, alors qu’on déplore l’endettement limite des ménages ? Pourquoi
ne pas stimuler la demande en aidant la classe moyenne et les
plus démunis ? Ce qui entraînerait de facto, la création d’emploi.
On verse aux grandes
entreprises de généreuses subventions, on diminue leurs
charges fiscales, on
leur facilite l’évasion fiscale en signant des ententes sur la non double imposition
avec
des paradis fiscaux…
Les coffres de l’État se vident, entraînant de nouvelles coupes
dans les services à la population… déjà fort endettée.
3 Ouaknine Léon, Les clés du
bien-vieillir, Éditions du dauphin, 2017,
p. 26
Conséquences : « nous en
sommes à 5000 milliards de dollars par jour d’échanges financiers, 115 fois le montant annuel
du commerce international réel… La valeur boursière a été
multipliée par 45 en 30
ans quand le PIB n’était multiplié que par 3,5…»4
En 2016
selon OXFAM, 62 personnes possédaient plus que la moitié de la population de la planète. En 2017, ce
nombre est réduit à
85 !
Constats
Qu’ont
en commun toutes ces situations ? Les grandes
décisions sont prises par une
petite minorité : les grands
possédants. Et souvent, à l’encontre du
bien commun.
Si le peuple (dêmos) détient vraiment le pouvoir (kratos),
comment expliquer que ce même peuple participe de moins en moins aux élections ? Que selon World Values Survey… 52,4 %
des personnes interrogées ne faisaient que peu ou
pas du tout confiance au gouvernement, 60,3 % au Parlement et 72,8 % aux partis politiques. »6
Mais alors ?
Les citoyens ont une impression de plus en plus nette qu’on
les
manipule à longueur d’année à l’aide d’« experts » triés sur
le
volet, de spécialistes de la manipulation que sont devenus nombre de professionnels de la communication et du marketing, financés en cela par des transnationales dont les budgets dépassent maintenant ceux des
États.
Pour être élus, les candidats ont besoin de financement. Au
lendemain de leur
élection ? Ils se retrouvent redevables à ceux qui le leur
ont fourni. De leur défaite ? On
les
retrouve au conseil d’administration des grandes
entreprises ou à des postes de lobbyistes auprès
de ceux qui les ont remplacés à la direction des États.
Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau écrivait « le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il
ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus,
il
est esclave, il n’est rien. »7
Hugo Bonin nous décrit de façon concise cette démocratie que nous ont léguée les révolutions américaine et
française du XVIIIe siècle : «… puisque l’électeur choisit la candidature qu’il estime supérieure aux autres,
le régime représentatif repose sur la sélection des «
meilleurs » pour diriger… Sachant que la richesse est bien souvent le principal critère de la supériorité d’un individu, on peut aussi être en
accord avec Jacques Rancière quand il affirme que nos régimes sont des oligarchies libérales : le pouvoir est détenu par les plus
riches – perçus comme supérieurs »8
Pour Francis Dupuis-Déri, dans son
livre Démocratie, «…
la
Révolution française, pas plus que
l’américaine, n’a chassé
une aristocratie pour la remplacer par une démocratie ;
elle a chassé une aristocratie héréditaire pour
la
remplacer par une aristocratie librement choisie.
Une aristocratie élective…9»
4 Intervention de
Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 20 octobre 2017
6 David Van Reybrouck, Contre les élections, Actes Sud,
2014, p. 7
7 Jean-Jacques Rousseau,
Du contrat social ou Principes du
droit
politique (1762),
Paris : Union
Générale d’Éditions, 1963, p. 78
8 Bonin Hugo,
La démocratie hasardeuse, Les Éditions XYZ inc., 2017, p. 14
9 Van Reybrouck David, Contre les élections, ibid, p. 108
La solution ?
« Pour
Aristote, l’élection n’était donc pas incompatible avec la démocratie, mais, prise en
elle-même, elle constituait un procédé de type oligarchique ou aristocratique alors que le
tirage au sort était, lui, intrinsèquement démocratique. »10
Certaines charges devraient être comblées par tirage au sort selon Jean-Jacques Rousseau,
en accord en cela avec Montesquieu11: «… quand
le choix et le sort se trouvent
mêlés, le premier
doit remplir les places qui demandent
des talents propres, telles que les emplois militaires,
l’autre convient à celles où suffisent le bon
sens, la justice, l’intégrité, telles que les charges
de judicature, parce que, dans un
État bien constitué, ces qualités sont communes
à tous les citoyens.12»
Ne confions-nous
pas le sort d’un accusé à des jurés choisis au hasard ?
En 2004,
la
Colombie-Britannique chargea un comité composé de 160
citoyens tirés au sort
de revoir le système électoral uninominal à un
tour. Le résultat de leur délibération fut par la suite proposé
à la population par référendum.
Gordon Campbell, alors premier ministre, « avait déclaré que les politiciens ne pouvaient pas
élaborer un système électoral sans être en situation de conflit d’intérêts… Selon
lui, il revient aux citoyens
de décider des règles devant
gouverner les élus. “Je sais comment les politiciens
pensent. La plupart, franchement, vont tenter de trouver
un système électoral qui fonctionne à
leur avantage”.13» Justin Trudeau qui avait promis que l’élection de 2015 serait la dernière tenue sous un système uninominal à un tour ne vient-il pas de lui donner raison14 ?
Et que fait-on pour
connaître l’opinion de la population ? Un
sondage ! On interroge
des citoyens choisis au hasard.
Et si cette pratique du tirage au sort longtemps considérée comme anecdotique, voire farfelue, depuis Athènes au 5e siècle avant notre ère, était en fait la clé de voûte de tout État qui se veut vraiment démocratique ?
Et si cette pratique du tirage au sort longtemps considérée comme anecdotique, voire farfelue, depuis Athènes au 5e siècle avant notre ère, était en fait la clé de voûte de tout État qui se veut vraiment démocratique ?
Jean-Yves Proulx
10 Bernard Manin, Principes du
gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, Paris, 1995, p. 44
11 Charles de Secondat de Montesquieu, De l’esprit
des lois, Les classiques des sciences sociales, UQAC, p. 42
12 Jean-Jacques Rousseau, 1762 : Du contrat social ou
Principes du droit politique, ibid,
p. 91
13 Manon Cornellier, Colombie-Britannique - La démocratie mise à
niveau par les citoyens, Le
Devoir, 2004-12-11
14 Vives réactions à l’abandon par Trudeau de la réforme du
mode
de scrutin, Radio-Canada, 2017-02-01
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