Pour se distinguer autrement
Michel RIOUX
L’Aut’Journal
Décembre 2013
Décembre 2013
L’homme
se cramponne à la servitude plus souvent qu’elle ne s’impose à lui.
Sénèque
Si
tous les Québécois prenaient connaissance d’une statistique livrée par le
sociologue Pierre Drouilly dans sa préface du livre Ce peuple qui ne fut jamais souverain, de Roger et Jean-François Payette, il est
fort à parier que bien des choses pourraient changer! Et que dit
cette statistique, révélée par une recherche du politologue Jean Laponce ?
Que
depuis la Révolution française de 1791, il s’est tenu près
de 200 référendums de souveraineté. Or les résultats ont tous été positifs, avec une très forte
majorité dans la plupart des cas. Mais il y a deux exceptions : les deux référendums
québécois, de 1980 et de 1995. Ce sont en effet les
deux seuls cas relevés depuis 222 ans, où un peuple a répondu non quand il a
été appelé à se dire oui à lui-même.
Devant
l’histoire, cela nous fait une maudite belle jambe ! On pourrait peut- être
trouver une meilleure façon pour se distinguer, nous qui nous pétons les
bretelles de la société dite distincte.
Les
deux auteurs, père et fils, dressent avec une lucidité qui peut devenir
douloureuse l’état des lieux et les conséquences de ce qu’ils assimilent à la
tentation du suicide politique chez les Québécois.
Aux deux référendums perdus s’ajoute
l’échec des Patriotes en 1837. Ces trois événements amènent les Québécois
« à se laisser
dominer politiquement par une autre nation, les convainc de remettre la
richesse qu'ils produisent en des mains étrangères, les persuade de vivre en
déshérités du monde en abdiquant collectivement leur responsabilité de
collaborer à une humanité qui se fait.
Cette dépossession se manifeste dans leur renoncement à promouvoir le
bien commun et les entraîne à s’illusionner sur les promesses d’un
individualisme conformiste, à cultiver la confusion dans leurs choix politiques
et à entretenir l’incertitude à leur avenir ».
Un électrochoc, ce livre dont Pierre Drouilly a
écrit qu’il « sera une
pierre blanche sur le long et laborieux chemin suivi par les Québécois dans
leur quête d'eux-mêmes ».
Aux yeux des auteurs, les Québécois se bercent d’illusions en
se faisant accroire que leur salut repose sur leurs performances sur la scène
culturelle. Si les réussites sont indéniables sur ce plan, elles ne peuvent
compenser l’absence d’une réelle prise sur la réalité des choses que seul le
pouvoir politique peut apporter.
C’est une certitude clairement énoncée. « Nous aurons beau présenter de notre condition les
analyses les plus pénétrantes, créer le théâtre le plus bouleversant, écrire
les romans les plus récompensés, rien de toute cette production culturelle ne
nous reposera de notre fatigue ni ne nous libérera de notre dépendance si nous
ne nous décidons pas à prendre le pourvoir politique », soutiennent les Payette.
Alors que le peuple québécois « est
privé du pouvoir politique collectif qui l’a conduit, et le conduit toujours, à
hésiter entre la vie et la mort par cette perpétuelle et violente tentation du
suicide politique, qui ne peut être pour lui qu’une autre impasse
douloureuse », le seul programme politique qui soit recevable consiste à s’assurer une
prise sur le réel.
Une prise collective que doit exercer le peuple québécois. Sur
son territoire, sur le temps, sur son univers politique, sur ses relations
internationales, sur son économie, sur son environnement social, sur sa
culture.
La lecture du livre risque d’en conduire certains à désespérer
de ce peuple « toujours embourbé dans son provincialisme réducteur ».
Mais la condition première à remplir pour assurer cette prise sur le réel, n’est-ce pas d’avoir le courage et d’être capable
d’en mesurer la hauteur ?
Ainsi, en dépit de l’accumulation de faits qui constituent
autant d’actes manqués dans notre histoire, et des nombreux constats où il
serait pour le moins exagéré de soutenir que le courage a été au rendez-vous,
force est de constater que l’idée d’indépendance demeure au centre des
préoccupations populaires et est toujours vivante, ayant progressé de façon
fulgurante depuis 50 ans. Les trois derniers mots du livre sont d’ailleurs une
ouverture sur l’avenir : Nous pouvons
espérer !
Il ne faudrait surtout pas que Tocqueville finisse par avoir
raison, lui qui, dans ses Notes de
voyage, écrivait en 1831 :
« Cette
population nous a paru capable d’être dirigée, mais incapable de se diriger
elle-même ». Il faut absolument faire mentir le
vicomte.
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