Éditorial de Robert Laplante
dans la revue L'ACTION NATIONALE
Septembre - octobre 2012
L’élection du Parti québécois annonce une période qui sera
fort périlleuse pour notre avenir national. Les forces de normalisation du
Québec, l’action combinée d’un establishment québécois inconditionnel du Canada,
une politique de nation building et de déstabilisation de l’État québécois –
toujours trop fort, même ligoté – vont nous valoir une offensive de
minorisation sans précédent. La lutte sera féroce. Autant le dire haut et fort: il faut s’attendre au pire.
Et le pire dans notre situation se présente toujours sournoisement. Pour
affronter telle offensive, il faudra rompre avec le bonnententisme d’un peuple prisonnier de ses démons intérieurs et
captif de sa funeste propension à toujours minimiser ses pertes. Cela passera
par le raffinement de nos outils d’analyse, par le renouvellement de l’action
militante et par une plus grande inventivité à contourner les puissants moyens
de conditionnement de l’opinion que dressent devant notre mouvement des forces
capables d’instrumentaliser aussi bien l’univers médiatique que les ressources
institutionnelles.
Ils ne reculeront devant rien les bonimenteurs à gages pour
tenter de faire croire que ce n’est pas le Québec tout entier qui est visé. On
les a vus et entendus dire toutes sortes de bêtises pour ne pas voir d’attentat
terroriste dans les événements du Métropolis. Tout est acceptable dès lors
qu’il s’agit de nier le réel de notre condition et les termes dans lesquels se
manifestent l’hostilité inhérente à la volonté canadian de nous réduire enfin.
Il ne faut pas se leurrer, le Canada et ses inconditionnels qui s’en font ici
le relais mènent une politique d’éradication non seulement du mouvement
souverainiste, mais aussi de toute forme de ressort national. Cette politique,
en droite ligne issue de 1995, ne fera pas de quartiers. Les Québécois font
tout pour se convaincre du contraire, mais Ottawa veut réellement détruire
notre capacité de cohésion nationale. Et jamais depuis 1841 n’a-t-il pensé être
si près du but.
La démographie joue pour lui, notre poids relatif fond comme
neige au soleil.
La puissance pétrolière joue pour lui, lui donne des moyens certes, mais surtout un projet national qui lui donne une audace et une assurance comme il n’en a pas eu depuis la National Policy de Macdonald.La carte électorale canadian joue pour lui. Les majorités peuvent désormais se composer sans l’appui des Québécois. Plus rien ne lui sert de faire des concessions, si ce n’est pour aménager son propre confort de gouvernance.La dynamique continentale joue pour lui. L’intégration des politiques énergétiques et la volonté d’inscrire ses intérêts pétroliers dans la géopolitique américaine le rendent plus que jamais réticent à toute forme d’arrangement économique qui tolérerait des choix spécifiques pour le Québec dont les intérêts nationaux font obstacle.La dynamique internationale joue pour lui. Les crises en cascades et les menaces qui pèsent sur l’économie mondiale renforcent sa crispation sur l’unité nationale et son adhésion au grand credo libre-échangiste.
Enfermés dans une mentalité provinciale rabougrie, les
Québécois ont de plus en plus de mal à se penser dans la politique du monde et,
du coup, à saisir correctement la nature de la domination qu’exerce sur nous un
régime canadian dont ils sont trop nombreux à ne comprendre ni la logique ni
l’architecture. Les partis politiques provinciaux ont parfaitement intériorisé
l’idée que gouverner le Québec signifie administrer une agence de livraison de
services publics. Le Canada des « grandes
affaires » – la
guerre, les relations internationales, les échanges économiques de la
mondialisation – est pratiquement disparu du débat politique. La dernière
campagne électorale a atteint des sommets d’insignifiance béate et d’inculture
politique.
Tout empêtré dans les héritages de ses conduites chaotiques
des quinze dernières années, le Parti québécois s’est retrouvé prisonnier de la
toile de ses propres contradictions. Lui qui avait tout mis en œuvre pour tenir
son option à l’écart de la campagne, qui s’était présenté en sollicitant un
mandat d’alternance provinciale vernissée de prétentions velléitaires
autonomistes, s’est fait servir une leçon de politique: on ne peut pas demander moins quand on a
déjà demandé le tout. La régression des ambitions, même enrobée dans un
discours de stratégie pragmatique, n’a rien rapporté. C’était d’autant plus
prévisible que l’approche avait été partout claironnée comme étant une ruse
pour amener le Canada à dire non. Les partis adverses ne s’y sont guère laissé
prendre, personne n’a eu la candeur de succomber à si grossier stratagème. Ils
ont donc foncé sur l’option, en faisant pour la millième fois le procès sans en
débattre sur le fond, faisant écho à la grande victoire idéologique d’Ottawa
qui aura été d’oblitérer les fondements de la revendication nationale en
faisant la guerre au référendum. Et ce fut le retour du refoulé, le débat électoral
a basculé.
Qu’il le veuille ou non, ses adversaires ont placé le Parti
québécois dans une dynamique à laquelle il a cru un moment se soustraire. Le
référendisme tant honni a été retourné contre le parti, contre l’option. Et
contre le peuple du Québec lui-même dans la mesure où cette dynamique
idéologique évacue tout procès du régime canadian, oblitère toute notion et
toute référence à notre intérêt national. Et c’est ce procès d’oblitération qui
alimentera tous les dénis de légitimité auxquels le gouvernement minoritaire
péquiste est d’ores et déjà soumis. Lui qui avait si farouchement résisté à
toutes les tentatives militantes de révision de son cadre stratégique y est
désormais condamné tout aussi bien par la pugnacité de ses adversaires que par
la réalité de ceux-là de ses alliés traditionnels qui l’ont déserté. L’intérêt
national tout autant qu’une claire conscience de sa responsabilité historique
l’y conduisent d’ores et déjà – et l’on peut compter sur l’intelligence d’une
femme qui vient d’échapper à un attentat pour en saisir toutes les exigences.
Telle est la nouvelle donne :
notre demi-État national est menacé comme jamais. Nous attendons de ce
gouvernement qu’il crée les conditions d’une riposte vigoureuse. Le corridor
est extrêmement étroit, les moyens limités, mais en mobilisant les forces vives
avec audace et inventivité autour de projets mobilisateurs, il est possible de
reprendre l’initiative.
On peut formuler des tonnes d’hypothèses sur les tactiques
et les formes que devra prendre la gouverne péquiste pour tenter de se gagner
une prochaine majorité. Mais par-delà les considérations partisanes sur
lesquelles devraient ou non se construire les alliances électorales requises,
il faut penser au fondement sur lequel elles devront se faire. Et pour les
penser, il faut inscrire la lutte militante dans le double registre de la
critique radicale du régime et de la définition intransigeante de notre intérêt
national. Les réalités démographiques ont renversé le sablier : le temps nous est
compté. Les Québécois vont devoir apprendre à se penser dans la tragédie qui
est la leur.
Tout dans la culture politique des quinze dernières années
les en détourne. Et pourtant c’est à cette lucidité que nous sommes condamnés.
On l’aura compris, elle n’a rien à voir avec la lâcheté démissionnaire que
l’employé de Talisman s’est empressé de brandir pour empoisonner le climat
politique à la veille de l’entrée en poste du nouveau gouvernement. Les années
qui viennent seront exigeantes, il en va non seulement de l’avenir de l’idée
d’indépendance, mais en bonne partie aussi du sort de notre situation de
minoritaire sur le continent.
Les choses étant ce qu’elles sont, il faut d’ores et déjà
réapprendre à se servir des gestes et du climat de siège sournois que nous
impose Ottawa pour redéfinir notre approche du combat. Pour l’idée
d’indépendance, les nouvelles circonstances de cette adversité pourraient bien
être salutaires. À la condition toutefois de réapprendre à bien nommer les
rapports politiques dans lesquels nous nous démenons. Le changement de langage
est essentiel au renforcement de la conscience nationale. Le Québec est une
nation entravée, dominée, empêchée de fixer ses finalités et de contrôler ses
moyens. Cela veut dire qu’il existe un dominant et c’est l’État canadian, qui
n’est pas notre ami, qui ne nous veut que le bien qu’il nous impose. Il faut en
finir avec les euphémismes technocratiques et surtout avec le syndrome
Passe-partout et le discours jovialiste que nous ont distillé trop de
bloquistes sur la grandeur du Canada et son fair-play : Ottawa nous a volé le référendum de 1995 ; il a corrompu des pans
entiers de l’élite collaboratrice avec son programme des commandites et ses
prébendes ; il mène
une lutte sans merci à notre langue et à notre culture. Il est temps de
replacer le débat sur la légitimité politique de cet État et de ses
institutions. Il est temps d’en finir avec la glose des scribes à gages et des
capitulards de tout acabit qui tentent de faire croire que nous serions le seul
peuple sur la terre à qui la mise en minorité serait bénéfique.
Les événements viennent de forcer le Parti québécois à
s’arracher à sa culture politique du louvoiement. L’avenir du gouvernement
dépend désormais de sa capacité à mobiliser dans le combat national. Cela va
requérir de lui qu’il traite de tous les dossiers en s’arrachant aux étroites
perspectives provinciales. Il faut le reconnaître, c’est un effort qui sera
difficile à faire tout en gérant le marasme dans lequel dix ans de corruption et
de sabotage des institutions ont laissé la province. Ce n’est pas impossible
cependant. À la condition de sortir de la politique déclamatoire. Ce qui est
attendu de lui, ce ne sont pas des professions de foi ni des compromis
pragmatiques, mais bien des réalisations nationales. Il faut que l’indépendance
soit une idée en marche, c’est-à-dire qu’elle s’impose dans l’évidence de
l’intérêt matérialisé dans des projets.
Ce mandat s’impose à lui par des circonstances que tentent
d’ores et déjà de lui dicter toutes les forces adverses qui savent bien que les
compromis qui dénatureront l’intérêt national seront les seuls qui leur
donneront une chance de reprendre non pas tant le pouvoir que les moyens de
finir la besogne pour réduire enfin la province à son rang de minorité
consentante. Il faudra donc des projets mobilisateurs, des réalisations
audacieuses bien davantage que des déclarations d’intention ou des entreprises
pédagogiques au service d’une éventuelle perspective référendaire. Le
référendum consultatif et le combat gagnable en une campagne de trente-cinq
jours sont des idées mortes, après avoir été de dangereuses illusions. Le
Clarity Bill a fait tout ce qu’il fallait pour renforcer le Canada dans l’idée
qu’il nous tient une fois pour toutes et c’est cette assurance qui rend si
acceptable la philosophie de l’éradication et si tolérable le « Québec bashing » de tous les outrages.
Ayons au moins l’intelligence de prendre un chemin où il ne nous attend pas,
tout engoncé qu’il est dans le confort de sa ligne Maginot juridique.
La construction d’un puissant mouvement d’émancipation ne se
fera ni dans la tergiversation ni dans le quémandage. Le gouvernement paiera
toujours le plein prix, que ce soit pour des demi-mesures ou des gestes
courageusement assumés. Dans tous les cas, il devra affronter de puissants tirs
de barrage idéologiques et des manœuvres de désinformation qui ne reculeront
devant rien. Déjà que le scribe Pratte s’est fait l’émule de Stéphane Dion (« faites-les souffrir ») pour recommander la
ligne dure à Ottawa (« M. Harper
doit dire non », 8
septembre 2012) comme s’il fallait s’attendre à autre chose de la part des
idéologues qui font carrière à nous enfoncer dans la minorisation. Ils la
feront l’Union sacrée derrière le Canada, tous ces inconditionnels du déni de
notre réalité nationale. Il faudra une riposte qui saura opposer la ruse à la
force sournoise, prendre appui sur l’appartenance et la loyauté pour débusquer
les imposteurs et les faux frères.
C’est par ses actes et non par des discours contre lesquels
le scepticisme a immunisé trop de gens que ce gouvernement pourra espérer
recomposer les forces nécessaires au grand effort d’arrachement que constituera
notre accession à l’indépendance. Le PQ dispose de ressources compétentes qui
pourraient le faire. Il peut compter sur des forces vives actuellement
dispersées autour de lui, mais réunies par l’idée d’indépendance pour le
soutenir dans des gestes courageux dont il sera établi, sans équivoque, qu’ils
servent l’intérêt national et nous font avancer sur le chemin de
l’indépendance. Il faudra quitter le terrain de la politique des lamentations
qui n’aura été qu’un avatar déprimé du messianisme qui avait conduit ce parti à
attendre les conditions gagnantes. Il faut une politique nationale, des gestes
qui incarnent et matérialisent l’esprit d’indépendance.
Il faudra réapprendre à se battre.
SOURCE : L'ACTION NATIONALE
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