Le témoignage pathétique d'un scientifique, entrepreneur et créateur québécois qui démontre l'incroyable cafouillage du gouvernement Charest et des administrateurs d'Hydro-Québec qui nous a fait perdre une autre technique d'avant-garde qui aurait pu donner naissance à plusieurs entreprises de pointe au Québec...
Cela rappelle le cas du moteur-roue où nous étions rendu à l'étape de la création d'une industrie de l'automobile électrique. Voir : clic, clic, clic
Se pourrait-il que ce soit volontaire ? Une question très sérieuse.
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Opinion d’un scientifique qui a
contribué au leadership technologique du Québec pour les accumulateurs au
lithium
MICHEL GAUTHIER
Le Devoir, 11 septembre 2012
L'auteur a
travaillé à l’IREQ de 1972 à 1999 au développement des accumulateurs ACER En
2001, il a incorporé Phostech Lithium pour produire et vendre le phosphate de
fer.
Il est
chercheur invité à l'Université de Montréal depuis 2000 et professeur associé au département de
génie chimique de l’École Polytechnique de Montréal depuis 2010 où il poursuit
le développement d’un nouveau procédé de production de LiFeP04.
Le coût de
cette publication, retardé par Le Devoir durant la campagne électorale,
est assumé par l'auteur et n’est aucunement lié à un parti politique.
- O –
1. Les dirigeants récents d’Hydro-Québec
et le
gouvernement ont trahi le rêve de René Lévesque
Lorsque René Lévesque a nationalisé l’électricité,
il a donné au Québec le contrôle d’une source d’énergie renouvelable qui a
généré et générera encore des revenus de milliards de dollars pour des
décennies. Ce faisant, il a également doté le Québec d’un outil de
développement économique unique qui n’est pas étranger au succès de nos firmes
d’ingénierie partout dans le monde.
La nationalisation a également entraîné la
création de l’IREQ (Institut de Recherche en Électricité du Québec), son centre de recherche, mis en place en 1970 dans la
foulée des grands barrages tels que Manicouagan. L’IREQ est associé à de grands
succès tels que les lignes de transport de l’électricité à 700 kV mais aussi à
des mises en valeur plus problématique comme celle du Moteur-Roue du Dr
Couture. Le développement des accumulateurs au lithium où le Québec a été un
pionnier reconnu mondialement mérite un examen sérieux car, après 40 ans de
recherche et développement (R&D), l’auteur conclut que les dirigeants
d’Hydro-Québec n’ont pas su ou voulu, mener à terme des développements
technologiques capables d’entraîner des développements industriels dans des
secteurs d’avenir : stockage de l’énergie, transport électrique, production et
exportation de produits à haute valeur ajoutée (les accumulateurs et leurs
composantes) et même, à terme, la transformation secondaire de minerais
abondants au Québec ( lithium, phosphates, fer...).
De 1976 à 1999, la R&D sur d’accumulateurs au
lithium fut un objectif corporatif à Hydro-Québec. Ce mode de stockage de
l’électricité ouvrait la porte au remplacement du pétrole dans le transport et
à l’amélioration de l’efficacité du réseau (réserve d’énergie et de puissance
et stockage d’énergies intermittentes); des problèmes d’actualité dans un
domaine où le Québec avait un atout créatif pour innover : l’hydro-électricité.
Avec le soutien des dirigeants de l’époque, une expertise a été développée sur
la technologie films-minces ACER, celle des Accumulateurs au lithium métallique
à Électrolyte Polymère.
En 20 ans, on a appris à transformer des lingots de
lithium en kilomètres de feuillards minces, on appris à rendre conducteurs des
films de plastiques (polymères + sels de lithium) et à en faire des piles
électrochimiques en films minces jamais réalisées auparavant et, non le
moindre, on a développé au Québec les procédés de fabrication des accumulateurs
qui sont passés de cellules de laboratoire de 4 cm2 à des installations de 30
kWh installées dans un véhicule électrique.
Ces développements ne se sont pas faits en vase
clos. Grâce aux moyens et à l’engagement soutenu d’Hydro-Québec, des collaborations
internationales ont pu être mises en place : avec le CNRS France à l’origine de
la pile polymère film-minces, avec la pétrolière Elf-Aquitaine, avec la société
Yuasa du Japon et finalement avec la société américaine 3M dans le cadre de
contrats de ~120 M$ du Consortium américain USABC pour développer un
accumulateur pour le véhicule électrique. Le résultat : en 1999, Hydro-Québec
se retrouvait avec des équipes de plus de 140 chercheurs, techniciens et
ingénieurs à l’IREQ, au LTEE et dans la filiale de production Argo Tech et
surtout avec un savoir-faire et un portefeuille de brevets lui assurant un
monopole sur la technologie.
En 1999, André Caillé, alors PDG d’Hydro-Québec,
s’est fait convaincre que le stockage de l’électricité par accumulateur n’était
plus un objectif d’affaires et que la société n’avait plus à poursuivre de
R&D corporative. Il ainsi provoqué le départ de l’équipe dirigeante du
projet et la disparition de la R&D sur les accumulateurs. HQ vend alors la
moitié de la technologie pour plus de 100M$ à L'Américaine Kerr-McGee; il
s’ensuit une accélération forcée de la commercialisation qui conduit
l’entreprise conjointe d’AVESTOR à la faillite après des investissements
additionnels de plus de 200 M$. L’aventure se termine en 2006 par le rachat de
la technologie pour une quinzaine de millions de $ par Bolloré France.
Heureusement, ce dernier conserve la vision du véhicule électrique et décide de
garder une partie de la production au Québec. Interrogé en 2010 par
Radio-Canada sur la vente, le PDG d’Hydro-Québec Thierry Vandal, certainement
mal conseillé, déclare alors que la technologie n’était plus prometteuse pour
le véhicule électrique! Peu de temps après, Investissement Québec décide
d’investir 16 M$ dans l’entreprise française pour la production à Boucherville
d’accumulateurs pour véhicules électriques...
Au moment où en 1999, Hydro-Québec décide de
couper dans la R&D, un groupe de recherche à l’Université de Montréal
(UdeM) découvre un procédé qui rend possible l’utilisation d’un matériau d’électrode
révolutionnaire : le phosphate de fer et de lithium (LiFeP04) récemment breveté
par l’Université du Texas (UT). Pour poursuivre leurs recherches, quelques
chercheurs travaillant à UdeM créent en 2001 Phostech Lithium afin de
développer et produire commercialement le matériau. Des accords de licences
sont signés entre Phostech, UdeM/CNRS, HQ et UT pour obtenir de cette dernière
en particulier les droits sur les accumulateurs au lithium-ion, le marché
principal visé par Phostech. La licence de fabrication et vente du C-LiFeP04
accordée à Phostech est alors exclusive et inclut l’obligation de produire un tiers de la production mondiale au Québec (‘clause Québec’) ce qui garantissait au Québec un rôle majeur dans les
nouvelles technologies du lithium.
Après l'incorporation de Phostech,
l’importance du C-LiFeP04 comme le matériau d’avenir pour les accumulateurs au
lithium est enfin reconnue et divers groupes s’y intéressent. Une compagnie
japonaise NTT ‘emprunte’ l’invention de l’Université du Texas et dépose un
brevet au Japon. Université de Montréal/Phostech découvre le brevet et informe HQ et UT qui
décident conjointement de poursuivre NTT pour rien de moins que 500M$ US....
D’autres sociétés américaines produisant en Chine brevètent les inventions
‘redécouvertes’ de UT et de UdeM, signe que les enjeux sont désormais énormes.
L’effet de ces litiges est de retarder l’adoption du nouveau produit chez les
utilisateurs et le développement du marché, particulièrement au Japon. Pour
Phostech, il faut trouver des partenaires financiers solides. Après deux ans de
négociations avec des partenaires internationaux : Mitsui, Umicore, A123... C’est la société allemande Süd-Chemie qui
accepte d’investir et de s’installer au Canada, une demande de Phostech
garantie par la ‘Clause Québec’. Süd-Chemie devient alors l’actionnaire unique
de Phostech en 2008 après que la SGF (actionnaire au départ) ait renoncé à
investir dans le projet d’usine pour des raisons demeurées inconnues. Phostech
met en place deux usines : St-Bruno et Candiac avec une capacité de production
de 3000 tonnes/an, équivalente à 10% du marché mondial de ce type d’électrodes
positives.
En 2010, volte-face : les responsables d’Hydro-Québec décident que la propriété intellectuelle concentrée chez Phostech a une valeur commerciale plus grande que prévue, que la croissance du marché du LiFeP04 doit être accélérée, que Phostech ne développe pas le marché suffisamment vite et que ses produits sont de mauvaise qualité! En 2011, à la suite de pressions sur les autres copropriétaires des brevets licenciés et sur l'actionnaire de Phostech (alors contrôlé par le groupe financier JP Morgan), l’exclusivité de Phostech est levée et des accords de licences multiples (de 5 à 10%) sont annoncés générant des revenus de 50-60 M$ instantanément.
En 2010, volte-face : les responsables d’Hydro-Québec décident que la propriété intellectuelle concentrée chez Phostech a une valeur commerciale plus grande que prévue, que la croissance du marché du LiFeP04 doit être accélérée, que Phostech ne développe pas le marché suffisamment vite et que ses produits sont de mauvaise qualité! En 2011, à la suite de pressions sur les autres copropriétaires des brevets licenciés et sur l'actionnaire de Phostech (alors contrôlé par le groupe financier JP Morgan), l’exclusivité de Phostech est levée et des accords de licences multiples (de 5 à 10%) sont annoncés générant des revenus de 50-60 M$ instantanément.
Or, c’est dans un contexte d’exclusivité lui permettant d’exporter partout dans le monde que Phostech avait fait le choix d’un procédé de haute qualité mais exigeant des investissements coûteux (80M$). Avec la multiplication des licences, Phostech se retrouve prématurément en compétition avec des fabricants asiatiques dont les pratiques commerciales obéissent à des règles différentes, une situation que l’auteur, président-fondateur de Phostech, a dénoncée en 2010 car elle remettait en jeu l’avantage dont le Québec avait pu se doter pour produire et exporter des produits transformés. Depuis, malgré l’octroi de licences tous azimuts, le marché n’a pas explosé, par contre Phostech fait désormais face à une compétition féroce.
C’est toute la percée technologique et le
rôle de leader du Québec sur les accumulateurs au lithium qui ont été remis en
cause par des décisions d’Hydro-Québec. La politique de R&D à Hydro-Québec,
maintenant orientée vers la vente de licences, retournera le Québec dans la
cour des petits. Aucune société privée ou publique ne peut raisonnablement
espérer rentabiliser ses investissements en R&D par des ventes de licences;
les brevets et le savoir-faire sont des outils de développement d’opportunités
d’affaires, pas des opérations monétaires spéculatives. Le développement de la
technologie ACEP représente à date des investissements de près d’un milliard de
dollars (Gauthier, ACFAS 11 Mai, 2012). Qu’en est-il resté? Une dizaine de
millions pour la vente de feu de la technologie Avestor. Heureusement que
Bolloré a maintenu une partie de ses activités au Québec car le Québec n’est
plus propriétaire de la technologie! Que représentent d’autre part les 50-60 M$
des licences reprises de Phostech, en regard de la mise en place d’usines de
fabrication de phosphates découlant de la ‘Clause Québec’? Ne serait-il pas
normal qu’Hydro-Québec rende compte de ses décisions et explique l’abandon de
son rôle d’outil de développement technologique.
2. Un gouvernement qui parle d’économie mais n’intervient pas.
Après la vente à rabais des intérêts
d’Hydro-Québec dans Avestor, cautionnée par son PDG, on aurait pu espérer que
le gouvernement demande des comptes pour les centaines de millions de dollars
d’argent public investis. Rien de la sorte ne s’est produit et il est difficile
de dire si c’est par ignorance ou par aveu d’impuissance envers la société
d’État.
Dans le dossier Phostech, avec l’ouverture des
droits exclusifs concédés à l’entreprise locale et surtout l’abandon de la
‘Clause Québec’, le gouvernement ne peut plaider l’ignorance. L’auteur de cette
opinion, après avoir écrit personnellement en 2009 au PDG d’Hydro-Québec,
Thierry Vandal, a écrit au ministre Béchard des Ressources naturelles (MRNF),
au ministre Bachand du Développement Économique, de l’industrie, de
l’innovation et de l’Exportation (MDEIIE) et même au premier ministre Charest
pour expliquer les enjeux et l’importance de la ‘Clause Québec’ et leur
demander d’exiger des explications de la société d’État. En 2010, après avoir démissionné
de ses fonctions dans Phostech pour pouvoir exprimer son opinion, l’auteur a
écrit de nouveau aux ministres Normandeau (MRNF) et Gignac (MDEIIE) avec copie
à Jean Charest pour expliquer plus précisément les enjeux; de plus il a
provoqué une rencontre non partisane avec la ministre Normandeau, avec l’appui
du député de La Prairie à l’époque, pour suggérer des solutions qui respectent
les intérêts du Québec. Il n’y a pas eu de suite.
Après l’ouverture de
l’exclusivité de Phostech en 2011 et les sorties publiques de l’auteur, le
ministre Gignac a repris à son compte les arguments d’Hydro-Québec comme quoi
plus d’une licence est nécessaire pour développer le marché (la licence
exclusive de Phostech avait pourtant une clause prévoyant un second fournisseur!)
et que selon lui d’autres usines viendraient sous peu s'installer au Québec
pour fabriquer du phosphate et même des accumulateurs au phosphate de fer. Rien
de tel ne s’est produit et maintenant Phostech (dans laquelle Investissement
Québec a mis 8M$) subit une compétition implacable des autres licenciés dans un
marché qui ne s’est pas accéléré pour autant et aucune usine additionnelle
n’est en vue malgré les promesses faites pour justifier l’abolition de la
‘Clause Québec’.
À la veille des élections, ce même gouvernement
promettait un Plan Nord pour extraire des roches et les exporter comme moyen de
relancer l’économie. Après 40 ans de R&D, la conclusion de l’auteur est
celle d’un retour à la case départ dans un pays sous-développé. Le gouvernement
sortant ne peut certainement pas nier sa responsabilité dans cette incroyable
occasion ratée de se doter d’une nouvelle base industrielle. Il faut souhaiter
que le nouveau parlement questionne les dirigeants d’Hydro-Québec sur les
motifs de leurs décisions. Cela fait, l’auteur souhaite que les partis
résistent à l’idée de réorganiser et de couper dans la société d’État
simplement pour avoir l’air de changer quelque chose mais au contraire, y
regardent de plus près pour comprendre comment la société a pu développer une
technologie de classe internationale et comment s’assurer dans le futur que des
improvisations de dernière minute ne viennent ruiner les investissements. Pour
l'auteur, Hydro-Québec en plus de générer des profits pour les dépenses du
gouvernement, doit, plus que jamais, assumer son rôle unique d’outil de
développement technologique du Québec dans le domaine de l’énergie au sens
large. On n’est plus à l’époque ou la recherche se faisait dans le fond d’un
garage!
MICHEL GAUTHIER
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