Dans le numéro de septembre 2012 du magazine L'Actualité, on trouve un article tout à fait remarquable sur Mme Pauline Marois, chef du Parti Québécois et candidate au poste de Première Ministre du Québec à l'élection du 4 septembre.
Cet article permet de découvrir une Pauline Marois beaucoup plus réelle que dans dans l'imagerie déformée qu'on voit et raconte trop souvent...
À l'intention de ceux et celles qui n'auraient pas accès à cet article, un premier extrait se trouve ci-dessous.
Source : L'Actualité
Source : L'Actualité
PAULINE MAROIS : L’ÉTOFFE D’UN PREMIER MINISTRE ?
Première partie
L’ACTUALITÉ - 1er septembre 2012
Mot de la rédaction
Chacun à leur manière, les sept chefs que le Parti québécois s'est donnés depuis 1968 ont tâché de résoudre le double casse-tête consistant à diriger des troupes dissipées, animées d'un rêve d'indépendance, tout en persuadant les Québécois de leur confier les rênes de l'État.
«Avec Jacques Parizeau, on était comme une armée derrière un général, raconte l'ancienne ministre péquiste Louise Beaudoin. René Lévesque était un charismatique émotif, un passionné. Avec Lucien Bouchard, on avait beaucoup de théâtre, c'était inspirant. Pauline Marois ? Ce serait... la raison dans la passion contenue. C'est une femme raisonnable, Pauline. »
Cette femme raisonnable saura-t-elle conquérir un électorat divisé ?
Elle a piloté les plus gros ministères, bravé nombre d'ouragans et su demeurer à la barre d'un parti réputé pour malmener ses chefs. Aucun politicien actuel ne connaît autant qu'elle la mécanique gouvernementale. Même Jean Charest le reconnaissait en mars 2006. Pourtant, elle reste moins populaire que son parti!
Pour élucider ce mystère, L'actualité a dépêché Noémi Mercier sur les traces de la chef du PQ bien avant le déclenchement des élections. Notre journaliste l'a rencontrée 14 fois en privé et l'a suivie comme une ombre pendant 48 heures sur la Côte-Nord et au Saguenay-*Lac-Saint-Jean. Elle a posé des centaines de questions, obtenu autant de réponses. Il y a eu des trajets en voiture, des conférences de presse, des voyages en avion, de nombreux échanges impromptus, des discours. Et beaucoup d'intimité.
Car il y a un moment dans la journée où Pauline Marois est disponible et auquel nul journaliste n'avait encore eu accès. Un rituel qu'elle observe religieusement, tôt le matin, avant que le tourbillon des réunions et des rivalités l'emporte: sa demi-heure chez le coiffeur.
Entre le 19 avril et le 6 mai 2012, notre journaliste a interviewé la leader péquiste 11 fois au son du sèche-cheveu, à travers un nuage de laque, une proximité qu'il est rarement donné à un journaliste départager avec une personnalité politique.
Durant ces intermèdes où Marois n'était pas encore entrée dans son personnage public, la femme qui aspire à gouverner le Québec s'est révélée. La voici. Avec ses forces et ses doutes.
La rédaction
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CÔTÉ SAGE, CÔTÉ GIVRÉ
L'élégance sera superflue ce soir. Les bonnes manières aussi. Dépouillée de sa flamboyante veste de cuir turquoise, Pauline Marois a enfilé son vieux chandail réconfort sur sa camisole de dentelle. Les manches retroussées, elle casse les pattes de crabe des neiges de ses mains manucurées et suce goulûment la chair à même la carapace. «Je suis une excessive en tout! » s'exclame-t-elle, plongeant dans les fromages longtemps après les autres convives, son verre de vin jamais loin des lèvres.En tournée sur la Côte-Nord et au Saguenay-Lac-Saint-Jean en cette fin d'avril, la chef du Parti québécois décompresse chez le député Marjolain Dufour, qui a cuisiné pour elle un festin de fruits de mer. Elle dévore avec un empressement gourmand, ricaneuse et vive au bout de la table, comme chez de vieux amis. Pas de réunion chronométrée ce soir. Pas de joute oratoire avec le premier ministre. Pas de mêlée de presse dans le couloir. Pas d'armure. Dans ce bungalow aux allures de chalet suisse, isolé dans un boisé à 12 km de Baie-Comeau, nous sommes cernés d'épinettes et de silence.« Si les Québécois veulent de Jean Charest, eh bien, qu'ils le choisissent. Et ils vivront avec», dit-elle avec une pointe de dépit, se révélant soudain mordante et grave. « On ne gagne jamais à diviser le Québec. Quand t'es chef d'État, tu te bats pas contre ta jeunesse, crisse.»Après des semaines de protestations houleuses contre la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement Charest, le conflit étudiant est en train de basculer dans la crise sociale. Malgré cela, Pauline Marois ne parvient pas à tirer parti du ras-le-bol de la population. Le carré rouge qu'elle arbore à l'Assemblée nationale, symbole de la cause étudiante diabolisé par ses adversaires, menace de devenir son boulet. (Elle le délaissera à partir du 20 juin, évoquant l'importance d'aborder d'autres enjeux à l'approche du scrutin... mais s'attirant du même souffle quelques accusations d'opportunisme.)À l'autre extrémité de la table, la combative Marie Barrette, son attachée de presse depuis trois ans, bouillonne d'angoisse et de révolte. « Jean Charest a acculé les étudiants au mur et il est en train de faire la même chose avec nous ! On a une job à faire, madame. Il va falloir convaincre, tous les jours. C'est pas vrai qu'on va perdre sur cette question-là, après tout ce qu'on a enduré. On a ramé dans la gravelle, la face en sang! » rage-t-elle. « Marie, on a choisi notre camp, martèle la chef. Celui de la justice, de l'équité, d'une société qui croit qu'investir dans l'éducation, c'est la meilleure chose qu'on puisse faire dans la vie, d'accord ? Il nous plantera là-dessus s'il le faut. Mais on a choisi notre camp. »Pendant deux semaines, à Québec, à Montréal, au Saguenay-Lac-Saint- Jean, sur la Côte-Nord, j'ai vu Pauline Marois revêtir et enlever tour à tour sa peau de politicienne. J'ai vu la bonne vivante, spontanée et terriblement humaine en coulisse, se muer en cette personne publique qui a été si souvent dénigrée : la Marois des discours et des points de presse, coincée dans sa cuirasse, lointaine et robotique dans ses tailleurs carrés, qui dit « cela » et « que l'on ». « J'habite mon personnage quand je me présente comme chef de l'opposition, explique-t-elle. Je me prépare à être chef d'État. Et j'ai un message à passer. Je dois projeter l'image d'une femme responsable, sérieuse, qui a réfléchi, qui sait où elle s'en va. »Entrée en politique « pour changer le monde », Pauline Marois demeure, sous ses airs de mère supérieure, une travailleuse sociale dans l'âme et une sociale-démocrate jusqu'à la moelle, convaincue que « l'État a un rôle à jouer 'dans la protection du bien commun » et que les solutions collectives sont souvent les meilleures. Millionnaire, mère d'une fille et de trois garçons âgés de 27 à 33 ans et deux fois grand-mère, elle a notamment mis sur pied les garderies à cinq dollars (maintenant sept dollars), une des plus importantes politiques sociales depuis l'assurance maladie. Pour reprendre les mots de Nicole Staf-ford, sa directrice de cabinet qui a presque toujours été à ses côtés, « elle a été le meilleur numéro deux de tous les chefs péquistes, qui lui ont systématiquement confié les dossiers les plus pénibles ».Or, cette studieuse qui a dirigé une dizaine de ministères différents en 31 ans de carrière a du mal à se forger une image convaincante de numéro un. Ce fut son épine dans le pied lors de la course au leadership du PQ en 2005 (perdue au profit du novice André Boisclair), puis lorsqu'elle est devenue chef, 18 mois plus tard. Et de nouveau, ces derniers mois, quand son propre parti l'a poussée au bord du précipice. Ce pourrait l'être encore lorsqu'elle briguera le poste de premier ministre, fonction qu'elle serait la première femme à occuper dans l'histoire du Québec et la dixième dans celle du Canada.Quand on veut résumer le problème de Pauline, on dit simplement qu'elle ne « passe pas». Pourquoi ? Le mystère déroute même ses amis les plus intimes. « II y a quelque chose en elle qui n'arrive pas à émerger », reconnaît sa grande copine Catherine Pagé-Asselin, travailleuse sociale qui l'a connue au collège vers l'âge de 12 ans. « Moi-même, quand je la vois à la télé, je la sens moins naturelle. Et cet air crispé la fait paraître snob. Mais elle n'a rien de ça! C'est une chose qui la peine et dont on a beaucoup discuté. »
LE CASSE-TÊTE DES CHEVEUX
On ne badine pas avec la tête de Mme Marois.
En chemise verte et cravate rosé, Ronald Plante sèche, vaporise, gonfle, ramène vers l'avant les courtes mèches irrégulières pour créer un effet «vent dans le dos » savamment négligé, inspiré d'un voyage à New York. Lui seul est autorisé à couper les cheveux de la chef péquiste, depuis bientôt 20 ans, dans un monumental salon de L'île-Bizard situé tout près de chez elle — un méli-mélo de boiseries acajou, de moulures ornées, avec fontaine et chérubins nichés dans un mur, qui semble avoir été conçu pour évoquer l'opulence.
Ce matin, Marie Barrette, l'attachée de presse, filme l'artiste à l'œuvre avec la caméra de son iPad : munie de cette vidéo, elle pourra enfin montrer aux autres coiffeurs comment reproduire le complexe brushing. Car la politicienne de 63 ans tient à sa mise en plis quotidienne, peu importe la ville où elle se trouve. À ses frais, prend-elle soin de préciser. « Mon adjointe a un "cardex" de coiffeurs partout au Québec. Je dois en avoir une trentaine ! »
Pas question de revivre l'humiliation du 6 juin 2011. Ce lundi-là s'amorçait la descente aux enfers. Trois vedettes du parti, Lisette Lapointe, Pierre Curzi et Louise Beaudoin, venaient de démissionner, ce qui a provoqué une crise de leadership dont le PQ ne sortirait que huit mois plus tard, avec six députés en moins. La colère à peine contenue, la chef a accusé le coup devant les journalistes à ses bureaux de la Place Ville-Marie, à Montréal. «Après le point de presse, Louise Harel m'a fait savoir que je devais faire attention, que j'avais l'air tellement fatiguée. J'étais pas fatiguée pantoute, j'avais les cheveux à plat. J'étais allée voir une petite coiffeuse dans le coin. J'avais beau lui dire de les gonfler, elle ne comprenait rien.»
Marois ne s'en cache pas : c'est une coquette invétérée, une amoureuse des couleurs bonbons, des parfums et des petits pots, toujours parée de quelque cape spectaculaire ou d'un tweed somptueux. Une excentrique sur les bords, qui s'est mariée en mauve et qui cultive ce que son ancienne collègue Louise Harel appelle « le principe de Pauline » : « Quand vous perdez, explique la chef de l'opposition à l'hôtel de ville de Montréal, la seule chose à faire est de vous apprêter avec le plus de recherche possible et de revenir triomphante. Pour donner le change. »
Mais cette enveloppe est une cible autant qu'un bouclier. Un véritable enjeu politique, qui refait surface chaque fois qu'il est question de son leadership. Le sujet d'innombrables caricatures, une tare qui, aux yeux de certains, suffit à la discréditer.
Toutes les semaines, des gens écrivent ou téléphonent à son bureau pour critiquer ses tenues. « Quand ils me disent qu'ils m'ont trouvée bonne, ils ne se souviennent pas de quoi je parlais, mais ils se rappellent que ma robe m'allait bien ! » Et que dire de ses bijoux voyants, de ses soyeuses écharpes, qu'on a fait rimer avec bourgeoise, prétentieuse, loin du peuple, Castafiore.
Beaucoup de politiciennes voient ainsi leur apparence scrutée, comme si le sort de la planète en dépendait. Les foulards sont pour Pauline Marois ce que les cheveux longs ont été pour Ségolène Royal, les blazers multicolores pour Angela Merkel, les tailleurs-pantalons, les rides et la queue-de-cheval pour Hillary Clinton: l'objet d'une attention médiatique démesurée qui banalise leur travail, selon certains analystes. Car pendant qu'on s'intéresse à leur physique, on ne parle ni des enjeux de fond qu'elles défendent ni de leurs compétences.
« Si une femme arrive fripée le matin, on dira qu'elle se néglige. Dans le cas d'un homme, on pensera qu'il a travaillé très fort la veille, souligne Manon Tremblay, professeure à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. Une députée fédérale m'a déjà raconté qu'elle tenait un agenda vestimentaire, parce que si elle avait le malheur de porter deux fois la même robe dans la même ville, les médias allaient le relever. » Rarement débat-on avec autant de passion des choix de cravates de Jean Charest ou des complets de Stephen Harper, qui a pourtant son styliste attitré...
Pour se composer une prestance de chef de gouvernement, Pauline Marois doit résoudre le dilemme que l'ancienne ministre des Finances libérale Monique Jérôme-Forget m'a résumé ainsi : « Si on n'est pas impeccable, on est critiquée, et si on est trop impeccable, on a l'air d'une madame. »
En prévision de la campagne, Marois a chargé le créateur Michel Desjardins de lui assembler une garde-robe qui rivalisera d'autorité avec les costumes de ses opposants. « On va y aller pour un look plus banquier », m'a-t-il expliqué lorsque je lui ai rendu visite dans son atelier-boutique de la rue Crescent, à Montréal, où se sont déjà habillées l'ex-gouverneure générale Michaëlle Jean et l'ancienne première dame Aline Chrétien. « Les gens doivent pouvoir se concentrer sur ce qu'elle dit. Dans un débat, ses vis-à-vis seront des hommes. Il faut que l'attention soit dirigée en haut des épaules et que le reste disparaisse.»
UNE PREMIÈRE DE CLASSE CONTRE UN CHAT DE RUELLE
Pauline Marois me fait la lecture dans le VUS conduit par son garde du corps, en route vers l'Assemblée nationale. Des phrases de sagesse tirées de 365 jours zen, un petit livre avec un bouddha en couverture qu'elle garde à portée de main sur la banquette arrière, pour les moments de tension. «La sagesse est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les pour suit. Un vieux proverbe chinois: Un moment de patience peut préserver de grands malheurs, un moment d'impatience détruire toute une vie. C'est bon, hein? » s'émerveille-t-elle en riant doucement. « Celle-là, je l'aime tellement: Chaque minute où vous êtes en colère, vous perdez 60 secondes de bonheur. »
Pendant un instant, la femme publique en redingote noire et rang de perles semble se dissoudre, perdue dans cette poésie de biscuits chinois comme si les rigueurs de cette matinée infernale n'avaient plus aucune emprise sur elle.
La leader du PQ a toutes les raisons d'être anxieuse en ce 26 avril : un redoutable affrontement avec Jean Charest l'attend cet après-midi au Salon rouge de l'Assemblée nationale, à l'occasion de l'étude des crédits budgétaires du Conseil exécutif (le ministère du premier ministre). Une sorte de duel préélectoral, comme la pesée où les boxeurs se toisent et s'intimident avant un match. L'occasion est belle de marquer des points contre un adversaire amoché. Mais Pauline Marois déteste ce genre de manœuvre. Et elle ne se sent pas prête.
Assis face à face dans la salle écarlate, à quelques mètres l'un de l'autre, ils débattront pendant quatre heures du bilan du gouvernement. Une première de classe contre un chat de ruelle. Accrochée à ses papiers, elle lit son exposé en se concentrant sur son élocution. Il se moque de ses «textes préparés à l'avance par son personnel». Elle trébuche sur un passage bourré de chiffres. Il la bouscule, tour à tour doucereux, railleur, sinistre ou nonchalant, traquant comme un fauve la plus petite hésitation, le moindre signe de fatigue ou d'insécurité. Elle s'agite, lève la voix, pointe le doigt, tente le sarcasme. Il reste de glace, avec ce sourire narquois qui mettrait hors de lui le moine bouddhiste le plus serein.
De temps en temps, elle lâche son texte et met ses tripes sur la table, comme lorsque le premier ministre lui reproche de faire une fixation sur les enjeux identitaires (Marois s'est engagée à étendre la portée de la loi 101 ainsi qu'à adopter une charte de la laïcité et une loi sur la citoyenneté québécoise), alors que lui dit privilégier l'emploi et l'économie. «Le gouvernement libéral fait preuve d'un véritable laxisme à l'égard de la défense de la langue française au Québec. Et, oui, on va en faire une priorité, mais on est capables aussi de faire une priorité de l'économie, de la justice sociale, de l'équité, puis d'éviter que des jeunes soient dans la rue et qu'on vive une crise sociale. On est capables de faire les trois en même temps, monsieur le président!» tonne-t-elle en gesticulant avant de poser bruyamment ses feuilles sur son pupitre. C'est un terrain glissant. Jean Charest semble perpétuellement sur le point de la faire sortir de ses gonds.
Que ce soit dans le Salon rouge ou dans le bleu, où se tient la période de questions, le désarroi de Pauline Marois est palpable, estime une source libérale qui a requis l'anonymat. « II y a des périodes de questions où je me dis : une chance qu'ils sont en avant de nous autres, parce qu'on pourrait en manger une à matin. Ils auraient pu mettre la rondelle dans le filet : ils n'ont même pas tiré ! Être chef de l'opposition, c'est comme être avocat en contre-interrogatoire. Pis ça, elle ne l'a pas. À ce chapitre, elle me rappelle Jacques Parizeau. »
Pauline Marois est la seule personne dans l'histoire du Québec à avoir piloté aussi bien les ministères de la Santé et de l'Éducation
que celui des Finances — les trois piliers du gouvernement.
Pauline Marois en convient, elle a mis du temps à apprivoiser ces combats oratoires. «J'avais une certaine crainte de ne pas avoir la réplique, alors que je l'avais tout le temps. J'en connais pas mal plus que lui », m'a-t-elle confié dans son bureau du 15e étage de la Place Ville-Marie, lieu imposant le respect s'il en est, avec sa vue dominante sur le centre. Reste que chacune de ses interventions à la Chambre est un exercice périlleux. Blâmée tantôt pour son manque de crocs, tantôt pour son excès de griffes, elle a tâtonné pour trouver le parfait dosage de combativité, sans trop se dénaturer. «J'ai démontré que je suis capable de le mettre dans le coin. Pis de donner un petit coup en bas de la ceinture s'il le faut. C'est moins ma tasse de thé, mais je l'ai fait quand même. J'ai fait vraiment des colères, ce qui n'a pas aidé à mon image, parce que j'avais l'air trop agressive. Alors maintenant, je me contiens. J'essaie de garder un ton plus calme, plus en contrôle, qui correspond plus à ce que je suis. » Beaucoup se souviendront de la véhémence qu'elle a mise dans ses coups de gueule répétés au Salon bleu pour exiger la tenue d'une commission d'enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction, enquête que le premier ministre a fini par annoncer en octobre 2011, après s'y être refusé pendant deux ans.
Monique Jérôme-Forget a encore en mémoire la chef hargneuse qui lui a fait face à la Chambre de 2007 à 2009. « Elle a perdu des plumes quand elle a trop personnalisé ses attaques, dit-elle. Il y avait une telle haine entre elle et Jean Charest, et à un moment donné, elle a exagéré. »
Lorsque Nicole Boily voit son ancienne patronne engager les hostilités au Parlement, elle avoue avoir du mal à la reconnaître. Cette ex-haute fonctionnaire a été la toute première directrice de cabinet de Pauline Marois quand celle-ci est entrée à l'Assemblée nationale, en 1981, comme ministre de la Condition féminine. Et elle l'a toujours trouvée plus efficace en coulisse que sous les projecteurs. « C'est une battante, mais ce n'est pas une guerrière, dit-elle. Elle a une très grande force de persuasion en petit groupe, quand elle peut développer un argumentaire sérieux, solide, par une profonde connaissance des dossiers. Plus que dans des grands discours. Ce n'est pas un grand tribun. En ce sens, on pourrait dire qu'elle est plus technocrate que politique. »
Son idée d'une matinée charmante au boulot? S'enfermer pendant trois heures dans son bureau du parlement en compagnie de proches du parti pour préparer le prochain gouvernement avec une rigueur cartésienne. À l'abri des caméras, la carapace au rancart. J'ai rarement vu son visage s'illuminer autant que lorsqu'elle m'a parlé d'une de ces réunions, le matin du 4 mai. «Ah, aujourd'hui, je travaille!» s'est-elle exclamée dans un vibrant éclat de rire. J'aime ça faire de la planification, imaginer comment on va aborder tel dossier, solutionner tel problème. Si on est élus le 11, qu'est-ce qu'on fait le 12, le 13, le 14 ? À qui on doit parler, quel document doit être adopté, est-ce qu'on remanie les fonctions au Conseil des ministres, est-ce qu'on se donne des outils différents ? Carrément l'organisation du gouvernement. »
COUPS DE PIED AU CUL ET SOULIERS POINTUS
« Vous ne serez pas capable. » Le grand costaud à l'air bourru qui lâche cette boutade en pleine réunion ne sait pas à qui il a affaire.
À l'hôtel de ville de Port-Cartier, autour d'une table de conférence, une douzaine d'élus et de gens d'affaires expriment leur ras-le-bol. Ras-le-bol d'être laissés à eux-mêmes pour essuyer les contrecoups du boum minier. Ras-le-bol des infrastructures municipales qui ne fournissent plus devant l'explosion de la population. Assez de la pénurie de logements, de la main-d'œuvre introuvable, des travailleurs de passage parqués dans des campements. Marre d'être à la merci des cours du minerai. Marre du Klondike. « Tout le monde parle du Plan Nord, dit la mairesse, Laurence Méthot. Je suis à la veille d'en faire une indigestion ! »
Si elle est élue première ministre, Pauline Marois s'assurera que « la richesse créée sert d'abord et avant tout les Québécois », explique-t-elle. Elle veut hausser les redevances minières, s'arranger pour que le minerai soit transformé sur le territoire même, donner aux municipalités les moyens d'accueillir tous leurs nouveaux arrivants, exiger des contreparties des entreprises lorsque l'État paie des routes ou d'autres installations, nommer un « minier en chef», une sorte de vérificateur pour les mines. Faire un « développement ordonné du Nord », en somme, par opposition à ce qu'elle surnomme le «plan marketing» de Jean Charest.
C'est à ce moment que l'homme à la mine renfrognée, le président de la Chambre de commerce de Port-Cartier, Jean-Marie Potvin, a lancé son cri du cœur: «Vous ne serez pas capable de tout faire. L'appareil gouvernemental est trop dur à faire bouger. Nous, on est tous d'accord, mais le problème est sur la colline Parlementaire. »
Piquée, la chef politique a répliqué sans attendre : «Vous avez raison, c'est compliqué. Moi, j'ai dirigé les plus gros ministères du gouvernement. J'étais aux Finances au moment des attaques du 11 septembre 2001. On a ajouté trois milliards de dollars d'investissements dans les infrastructures. J'ai dit aux ministres concernés que leurs projets devaient être prêts à décoller en quelques mois, sinon je reprenais l'argent et je le mettais ailleurs. Ça s'appelle de la volonté politique. » Après les attentats du World Trade Center, Pauline Marois avait été plus prompte que son homologue fédéral, Paul Martin, à présenter un budget d'urgence pour parer au ralentissement économique redouté. «Vous savez, donner des coups de pied au cul avec une botte ronde, c'est bon, mais avec un soulier pointu, c'est plus tough ! » poursuit-elle avec ce grand rire franc dont elle ponctue la moitié de ses phrases.
Elle est en pleine possession de ses moyens dans le genre de rencontres auxquelles j'ai assisté lors d'une tournée de deux jours sur la Côte-Nord et au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Qu'elle soit devant des travailleurs communautaires de Sept-îles ou des syndiqués de l'usine de Rio Tinto Alcan à Aima, elle est là tout entière, les deux pieds plantés dans la réalité, avec une fermeté empreinte de douceur, une présence qui en impose en même temps qu'elle rassure. Une vraie travailleuse sociale. Elle parle peu, écoute beaucoup, compatit, pose des questions étonnamment pointues, cède à quelques accès d'indignation contre Jean Charest : « II a fait le tour de la planète pour vendre son Plan Nord, mais il n'a pas associé les décideurs locaux. C'a pas de bon sens !» Et à tout bout de champ, la discussion la renvoie à un épisode de sa carrière de ministre, à une entreprise ou un chantier ou un conflit ou une mesure dans lesquels elle a joué un rôle. «Parmi les choses dont on a parlé, me dira-t-elle, il y en a que j'ai moi-même négocié. »
«Je dis souvent que je
suis entrée en politique pour deux choses :pour le pays et pour l'égalité des chances. Et ça reste très fondamental pour moi. »
C'est devenu cliché de le souligner : aucun parlementaire québécois n'a jamais eu un CV aussi garni. En fait, Pauline Marois est la seule personne dans l'histoire du Québec à avoir piloté aussi bien les ministères de la Santé et de l'Éducation que celui des Finances — les trois piliers du gouvernement. Ces compétences ne sont pas que jolies sur papier, selon Monique Jérôme-Forget: «Ça demande un gros apprentissage de gouverner. L'État est une énorme machine, alors quand il s'agit de la faire remuer, il y a beaucoup de résistance. Pauline sait comment le gouvernement fonctionne, comment travailler avec les fonctionnaires et quand ignorer ce qu'ils vous disent. Elle est capable de prévoir les écueils : elle les a connus. C'est un grand avantage. » Jean Charest lui-même a célébré le caractère exceptionnel de son bagage. « Un jour, sait-on jamais, peut-être a qu'un homme fera la même chose. Permettez-moi d'en douter», avait-il déclaré en lui rendant hommage lorsqu'elle a quitté la vie politique, en 2006, avant d'y revenir comme chef du PQ un an et demi plus tard.
Avec ses « souliers pointus » et sa touche de travailleuse sociale, Pauline Marois a déjà déplacé des montagnes, racontent d'anciens collaborateurs. En 1997, elle a extirpé le système scolaire du carcan de la religion — une réforme minée qui avait rebuté tous ceux qui s'étaient succédé à l'Éducation depuis 30 ans. Les commissions scolaires catholiques et protestantes devaient devenir linguistiques, c'est-à-dire francophones ou anglophones. Le hic, c'est que le régime religieux était protégé par... la Constitution canadienne. « Fallait le faire ! On faisait amender une Constitution que le Québec n'avait pas reconnue, avec une motion unanime de l'Assemblée nationale. C'était tout un exploit», dit la directrice de l'Association francophone pour le savoir, Esther Gaudreault, qui était à l'époque chef de cabinet d'un autre ministre québécois concerné, Jacques Brassard. « II fallait du doigté, de la patience, de la détermination. »
Parallèlement, Pauline Marois se fendait en quatre pour créer les centres de la petite enfance — un projet titanesque, au moment où le premier ministre Lucien Bouchard s'était mis en tête d'éliminer le déficit budgétaire (qui s'élevait alors à quatre milliards de dollars). Et ce, tout en mettant en place sa controversée réforme de l'éducation, la plus ambitieuse depuis la Révolution tranquille, et en jetant les bases du nouveau congé parental, dont les libéraux achèveraient la réalisation.
La syndicaliste Lorraine Page, ancienne présidente de la Centrale de l'enseignement du Québec (l'actuelle CSQ), a traité avec Pauline Marois dans plusieurs dossiers au cours des années 1990. « Quand elle prend le bâton du pèlerin et qu'elle y croit, c'est vraiment une femme qui ose et qui ne baisse pas les bras facilement, estime-t-elle. On peut parfois être déçu des résultats, mais ce n'est pas quelqu'un qui arrive au pouvoir et qui se contente de gérer les choses. C'est une réformiste. »
Sa vigueur est d'ailleurs légendaire : elle possède une santé de fer (même si elle a déjà fumé trois paquets de cigarettes par jour) et une faculté quasi surnaturelle de s'endormir n'importe où pour récupérer. J'en ai eu la preuve dans le petit avion de sept places qui nous a ballottés entre Montréal, la Côte-Nord, le Lac-Saint-Jean et Québec: pendant que je luttais contre les haut-le-cœur, elle s'assoupissait paisiblement, enroulée dans sa cape, ses dossiers sur les genoux.
Le nœud, pour Pauline Marois, est qu'on ne recherche pas forcément les mêmes qualités chez une chef que chez une super-ministre, aussi efficace soit-elle pour remplir les missions hasardeuses. «Ce qu'on attend d'un chef de parti, ce n'est pas nécessairement la connaissance des dossiers, mais qu'il mobilise, qu'il parle de principes. Et ça, ça lui colle moins à la peau, observe Anne-Marie Gin-gras, politologue à l'Université Laval. Il faut qu'elle trouve un compromis, qu'elle soit elle-même dans la défense de ses dossiers, et qu'elle essaie de transformer cette défense en quelque chose de plus global, de plus élevé. »
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