La peur des mots
Jacques Lanctôt
Agence QMI - 17/03/2011
Source : http://fr.canoe.ca/
C’est curieux comme le mot «révolution» soudainement ne semble plus faire peur à personne, du moins lorsqu’il concerne d’autres sociétés que la nôtre. On parle librement, dans les grands médias, des révolutions victorieuses qui ont eu lieu en Tunisie et en Égypte, deux pays aux gouvernements corrompus et autoritaires, comme si ces mouvements populaires n’exprimaient pas, avant toute autre chose, un rejet catégorique des politiques néolibérales du capitalisme, celles qui ont cours un peu partout sur la planète depuis bon nombre d’années. Comme si le Canada et le Québec ne risquaient pas, un jour ou l’autre, d’être «contaminés», dans le bon sens du terme si cela peut-être possible, par ce grand courant d’idée libérateur qui reprend du poil de la bête.
Les journalistes et chroniqueurs culturels de Radio-Canada et de «La Presse» se sont pâmés, la semaine dernière, devant le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly, qui donnait une série de concerts à Montréal, comme s’il s’agissait d’un simple effet de mode et de rythme, alors qu’on semble oublier que Tiken parle, lui aussi, de révolution : «We want revolution / Young people révolution / Intelligent révolution…» Lorsque Tiken dénonce la corruption dans son pays, c’est tout le système capitaliste qu’il dénonce, celui qui a organisé et permis cette corruption et ce pillage des richesses au profit des métropoles : «On veut voler de nos propres ailes / C’était le rêve de nos aïeux / Elle n’est pas si loin l’étincelle / Il suffit qu’on ouvre les yeux/ Il faut se lever, lever, lever pour changer tout ça /
On doit se lever, lever, lever pour changer tout ça…» Est-ce que Tiken ne parle que de la situation en Côte d’Ivoire? J’en doute fort.
Bien sûr, il y a des «facteurs exceptionnels», en Tunisie et en Égypte, qui ont permis l’éclosion de telles révolutions. Bien sûr, la Côte d’Ivoire n’est pas le Québec. On y dénonce la pauvreté, la corruption, l’absence de liberté, la censure… Mais les Tunisiens ou les Égyptiens n’ont pas de gènes spéciaux, à ce que je sache, qui les portent immanquablement à croire qu’un monde meilleur est possible. Ce souhait s’exprime aussi ailleurs, et ici même.
Qu’arrive-t-il si moi aussi, je parle de révolution comme le fait Tiken Jah Fakoly? D’une révolution pour le Québec? Si je dis qu’il est temps que le Québec devienne un vrai pays? Si je dis que la population doit faire le grand ménage et chasser du pouvoir tous ces ministres, députés et maires corrompus, et leurs petits amis transporteurs d’enveloppes brunes? Si je dis que je rêve d’un pays qui s’appellerait Québec, où le gouvernement ne serait pas celui d’une clique de «moneymakers» mais représenterait toutes les classes de notre société? Passerais-je pour un dangereux révolutionnaire, un maudit séparatiste, un écologiste extrémiste?
Il me semble pourtant que nous sommes nombreux, au moins 50% de la population, à vouloir un grand changement à Québec, ce qui serait notre révolution à nous. Nombreux aussi à souhaiter qu’il n’y ait plus de guerre d’agression en Irak et en Afghanistan, que la paix s’installe pour de bon entre Palestiniens et Israéliens, que le blocus contre Cuba soit enfin levé. Tous ces gens désabusés de la politique, ces centaines de milliers de personnes qu’on dit désormais sceptiques et même cyniques, mes frères et mes sœurs, je suis persuadé qu’ils aspirent autant que moi à la réalisation de ces nobles idéaux
On peut endurer pendant longtemps les humiliations et les injustices. On peut supporter pendant longtemps d’être gouvernés par des idiots et des voleurs. Mais tôt ou tard, une étincelle viendra mettre le feu aux poudres. Ce jour-là, nous serons des milliers à réclamer un pays, moins de pauvreté, plus de justice sociale et moins de répression de la part de la police. Pour cela, il faut sortir de nos tours d’ivoire et de nos petits ghettos, profiter des médias sociaux et de toutes possibilités de communication pour brasser nos idées et chercher avant tout ce qui nous unit, puis nous rassembler le moment venu.
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« Ce qui nous laisse petits,
c'est la peur de devenir grands »
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