ÉDITORIAL - LE
JOUR
26 février 1975
LA PETITE RHODÉSIE
Yves Michaud
L'obstination du gouvernement et
l'entêtement vaniteux du ministre de l'Éducation de vouloir introduire dans la
loi 22 un système inapplicable de tests linguistiques ont connu un juste
dénouement la semaine dernière.
En annonçant la suppression des tests,
M. Cloutier a parlé de réponse intelligente (sic) à une vive contestation. Il
eut été souhaitable cependant, que le ministre et ses conseillers fassent
preuve de la même intelligence au moment de la discussion de la loi. À cette
époque, sauf le ministre, il n'y avait pas âme qui vive au Québec pour se
porter à la défense des tests linguistiques.
Avec d'autres, au moment du dépôt de
la loi 22, nous avions prévu deux choses : la création spontanée de mini-Berlitz
dans divers coins de la métropole pour qualifier les non-francophones à
l'inscription à l'école anglaise de même que le refus des anglophones d’atténuer
le principe du soi-disant libre choix des parents en matière d'enseignement.
Ce qui devait arriver, arriva. Des classes
clandestines ou parallèles ont été instituées en un temp record par le lobby anglophone afin
de drainer vers le secteur anglais le plus grand nombre possible d'enfants
d'immigrants tandis que la minorité rhodésienne partit en croisade, dans la presse
anglophone et dans les stations privées de radio qui lui appartiennent pour
défendre ses injustes privilèges et un ensemble de droits, acquis au détriment
de la majorité francophone du Québec. À cet égard, les propos tenus par les
auditeurs au marathon du poste de radio CJAD de Montréal sont à faire dresser
les cheveux sur la tête. Il n'était même pas nécessaire, au reste, que le
député libéral George Springate donnât le botté cl 'envoi Le Protestant School Board of Greater Montreal (PSBG I) en
tête et tous les anglicisateurs à sa suite étaient déjà sur le sentier de la
guerre.
Car, au-delà des beaux principes et
des vertueux sentiments, ce que la minorité rhodésienne du Québec défend avec
rage et acharnement, c'est ni plus ni moins que son droit à l'assimilation du plus grand nombre de Québécois,
francophones ou pas. La question linguistique au Québec est inintelligible sans
la claire conscience du système ingénieux et efficace d'anglicisation mis sur
pied par la minorité dominante avec la haute complicité des gouvernements qui
nous dirigent.
Les données sont simples : le secteur
anglais de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) compte vingt-cinq
pour cent (25%) d’anglophones québécois et le reste est formé d'enfants qui
donnent au secteur à la fois sa raison d'être et sa garantie de survie.
Le PSBGM, pour sa part, s'est toujours refusé à dévoiler les statistiques de sa
clientèle scolaire sur la base des langues maternelles, sans doute pour cacher
une situation similaire à celle de la CECM. Quoi qu’il en soit, pour maintenir leurs positions
et assurer leur viabilité, les secteurs anglophones, tant à la CECM qu'au PSBGM,
ont besoin chaque année du sang neuf des enfants d'immigrants et ils prendront
tous les moyens à leur disposition pour s'assurer que la source ne se tarira
pas. ,
Ces moyens ne manquent pas. Les
Anglais du Québec sont la minorité la plus riche et la plus puissante du
Canada. Ils disposent de ressources financières et de pouvoirs de contrainte
scandaleusement disproportionnés avec leur importance numérique. Leurs représentants
sont peu nombreux au parlement québécois mais ayant investi et contrôlant à
toutes fins utiles les plus importants centres de décision économique au
Québec, ils peuvent se permettre d'envoyer des figurants au parlement régional
des Québécois.
Leurs complices francophones
suffisent amplement à la tâche. M. François Cloutier, ministre de l'Éducation
et père de cet avorton législatif qui s’appelle la loi 22, bat la marche. Dans
la foulée des démissionnaires et des démocrates d'opérette qui se sont toujours
couchés devant la minorité dominante du Québec, le ministre a déclaré en fin de
semaine qu'il n'était absolument pas question de retenir la suggestion du
Conseil supérieur de l'Éducation à l'effet que seuls les élèves de
langue maternelle anglaise aient accès à l'école anglaise, les autres étant
dirigés vers le secteur français. « Le gouvernement n'est pas prêt à
abolir toute liberté de choix », dit M. Cloutier sur un ton d'indignation
composée, « d'autant que l'école française ne satisfait pas toujours
aux aspirations des francophones eux-mêmes ».
Pour justifier le passage des francophones au secteur
anglais et l'assimilation par celui-ci des enfants d'immigrants, le ministre de
l'Éducation pousse l'indécence jusqu’à décrier le système d’enseignement dont il est le responsable au premier titre. Nous
retenons avec peine l'envie de dire des gros mots devant un tel comportement de
valet et de porteur d'eau. Lorsqu'on veut tuer son chien, on dit qu'il a la
rage... D'aucuns, dans le passé, orthodoxes de l'agenouillement et commis de la
minorité rhodésienne, ont obéi avec inconscience aux ordres du pouvoir
anglophone. M. Cloutier, lui, ajoute le cynisme à la bassesse. « D'autant
que l'école française ne satisfait pas toujours aux aspirations des
francophones... » Il y a dans cet euphémisme un rappel d'impuissance
et un mépris de nous-mêmes qui nous ramènent aux jours les plus sombres de la
grande noirceur québécoise.
M. Cloutier et ses pareils s'apercevront un jour, et plus
tôt qu'ils ne l'appréhendent, qu'ils sont en rupture de continuité historique.
Le Québec réel n'est pas l'image qu'ils s'en font, diminué, rapetissé, né pour
un petit pain, éternelle colonie d'intérêts qui ne sont pas les nôtres.
Les forces de la vie sont à l'œuvre.
Pour l'heure, elles sont en situation de résistance mais elles finiront par
avoir le dessus sur tous Ceux-là qui les empêchent de respirer à l'air libre et
de bâtir ici un modèle de société qui soit autre chose qu'une petite Rhodésie.
Yves Michaud
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