Pour préparer la République du Québec.
Une définition de la République et du républicanisme.
RÉPUBLICANISME
Le terme république se définit par opposition à
la monarchie. Le roi exerce une autorité personnelle sur ses sujets, et dirige
son royaume comme s’il s’agissait de sa possession, tandis que dans la
république, le gouvernement est, en principe, la chose publique (respublica), aux
mains de l’ensemble des citoyens.
Bien que la monarchie ait été la forme de
gouvernement la plus fréquente dans l’histoire, l’idée républicaine existe en
Europe depuis la naissance des cités grecques. C’est toutefois à Rome que se constitue
véritablement une idéologie républicaine. Les théories opposent d’abord la
république romaine au règne personnel des rois, puis plus tard à celui des
empereurs. Les orateurs, les écrivains satiriques et les historiens en font un
mythe, où la gloire militaire s’allie à la liberté et la vertu. Les citoyens
romains étaient libres en ce sens qu’ils n’étaient pas soumis au pouvoir
arbitraire des tyrans, et qu’ils avaient le droit de diriger leurs affaires en
participant au gouvernement. La vertu c’est le patriotisme, et le sens de
l’intérêt public, une volonté héroïque de placer le bien commun au-dessus de
ses intérêts personnels et de ceux de sa famille. Ceci est illustré dans les
écrits de Tite-Live et Plutarque.
De nombreux républicains, tel Saluste, estiment
que la liberté de Rome s’expliquait par la vertu des citoyens, et qu’elle a été
perdue par la corruption liée au développement du luxe. D’autres
auteurs fournissent des explications plus centrées sur les institutions et montrent
la complexité du système politique romain. L’idéal de la constitution mixte,
tel qu’il se dégage des Lois de Platon et ensuite dans les écrits d’Aristote, est
développé par Polybe. Celui-ci
affirme qu’un cycle perpétuel des gouvernements se répète indéfiniment à moins
que ce mouvement ne soit arrêté par l’équilibre de ses différentes composantes.
Rome avait su trouver l’équilibre entre les éléments monarchique,
aristocratique et démocratique. La théorie républicaine classique a repris
cette idée.
Le républicanisme, qui s’efface au profit du
monarchisme chrétien pendant un millénaire, revient à la fin du Moyen Âge, avec
l’épanouissement des cités-États de l’Italie du Nord. Les théoriciens
républicains s’appuient sur diverses sources. Marsile de Padoue emploie des concepts
aristotéliciens pour prôner la souveraines populaire. Les juristes Bartolus et Baldus montrent que l’on peut
transformer l’approche monarchique du droit romain en une approche républicaine
simplement en considérant la cité comme le souverain légal de son territoire. Les
humanistes florentins appliquent le mythe
de la République romaine à leur
situation, et proclament
que l’idéal politique par excellence est la liberté politique d’une république qui
s’auto-gouverne.
PENSÉE POLITIQUE DE LA RENAISSANCE.
Le républicanisme de la Renaissance se développe
alors que les cités italiennes tombent peu à peu sous la férule des princes. Au
début du xvie siècle, la liberté républicaine est extrêmement rare,
artificielle et fragile, et susceptible de disparaitre
à la suite d’un simple revers de fortune. Devait cette difficulté à assurer la
liberté civile, les auteurs florentins ont proposé deux approches
complémentaires, l’une morale, l’autre institutionnelle. Tout d’abord, Machiavel et Guichardin estiment qu’une république stable est impossible sans vertu
patriotique. Les citoyens doivent placer le bien public au-dessus de leurs intérêts privés, éviter les disputes de faction, et se préparer à combattre pour leur patrie, sans recourir à
des mercenaires pour leur défense.
Le patriotisme, entretenu par une
participation continue aux affaires publiques, doit être leur véritable religion
de préférence à la religion chrétienne. Ensuite, de nombreux républicains suggèrent d’avoir
de sages institutions. Giannotti explique le succès et la stabilité de Venise
par sa constitution. L’association doge-sénat-conseil peut être interprétée
comme une combinaison classique d’éléments de la monarchie, de l’aristocratie
et de la démocratie. Machiavel, qui
s’intéresse plus à Rome qu’à Venise —trop statique— suggère que les tensions
entre les patriciens et le peuple peuvent contribuer à la grandeur de l’ensemble
dans un système dynamique.
Pendant les deux siècles qui suivent la chute de la
République de Florence en 1530, les idées républicaines ne sont plus qu’un
courant mineur de la pensée politique européenne dominée par les problèmes des
relations entre les rois et leurs
sujets. En 1656, lors de la guerre civile anglaise Harrington écrit une utopie
républicaine, Oceana, qui montre une grande confiance dans la mise en place
d’institutions politiques pour garantir la liberté et qui adapte la constitution mixte de l’Antiquité à la situation
contemporaine. Harrington a
influencé la pensée curieusement, semi-républicaine de nombre de penseurs britanniques du XVIIIe
siècle. Les juristes se représentent généralement la politique de la
période dans laquelle ils vivent en termes classiques. Ils voient la couronne
et le parlement comme une forme de constitution mixte. Les nobles des Comtés
sont en quelque sorte comparés aux citoyens romains, la cour et la dette
publique représentent le luxe et la corruption qui détruisent les États libres.
Malgré l’hypothèse traditionnelle selon laquelle
le gouvernement républicain ne convient qu’à de petits États-cités, l’existence
d’un discours sur la république a aidé les révolutionnaires américains à voir
dans la république la solution de leurs problèmes.
Le changement d’échelle est un des aspects sur
lequel l’idéologie républicaine se transforme au cours des révolutions
américaine et française. La république concerne désormais de vastes nations, et
plus seulement des cités-États. Les républicains invoquent le droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes. La participation directe des citoyens est remplacée par
la représentation de la volonté populaire, tandis que l’optimisme et la foi
dans le progrès succèdent au pessimisme de l’Antiquité.
Jusque-là, les républiques avaient été
considérées comme des exceptions à l’ordre monarchique, exceptions qui ne se
produisaient que dans des circonstances particulières et généralement pour de
brèves périodes. Le succès américain signifie que la République devient une
alternative universelle à la royauté. Alors que les républicains classiques
avaient une vision cyclique de l’histoire, leurs successeurs devinrent
confiants dans le progrès des lumières qui sapaient les fondements, à la fois
des Églises et des rois. Cette foi était si forte que même l’échec de la
Révolution française ne pouvait la détruire.
Curieusement, Rousseau (Jean-Jacques) si pessimiste et en fait
le dernier républicain réellement classique devint le prophète d’une nouvelle
foi promettant l’avènement de la volonté générale du peuple souverain. Les républicains
français, à la fin du XVIIIe
siècle, s’inspirent de Rousseau et adoptent un ton
moraliste. Pour Robespierre et Saint-Just, qui se comparent aux Romains, et qui
reprennent les valeurs de la vertu et du
dévouement à la patrie, la liberté
est positive, tournée vers la vie communautaire plus que vers l’individualisme.
Un demi-siècle plus tard, Tocqueville estimera qu’une vie privée trop
prenante est un danger pour la liberté républicaine, et que la participation
des citoyens à la vie politique permet
d’y échapper.
Le républicanisme, à la fin du XVIIIe siècle,
prend aussi des formes plus bourgeoises, en mettant l’accent sur le patriotisme
et l’équilibre des pouvoirs institutionnels, Madison qui défend la nouvelle constitution américaine qui s’inspire de la théorie républicaine du gouvernement mixte, estime
qu’il est utopique d’aspirer à l’unanimité des citoyens. Pour éviter les luttes de factions, qui ont été
si néfastes aux régimes républicains, il faut élaborer des institutions où les
intérêts s’équilibrent. Bentham et ses disiples, avec moins de
respect pour la tradition des vertus civiques, conçoivent la république comme
une simple affaire de gestion des problèmes de gouvernement.
Estimant que l’homme politique
est guidé par son intérêt personnel, il pense qu’une autorité irresponsable est
dangereuse et qu’un bon gouvernement peut être garanti en rendant les postes de
pouvoir électifs et sous le contrôle permanent des mandants.
Au XIXe siècle, l’idéal républicain
reste un idéal qui s’oppose aux régimes monarchiques, au XXe siècle,
cette approche a virtuellement disparu pour partie parce qu’il n’y a plus de
roi absolu à combattre, pour partie parce que l’ancienne conception de la
république (dans laquelle la participation à la vie publique était plus
importante que la vie privée) n’attire plus les libéraux qui ont adopté des conceptions plus négatives et plus individualistes de la
liberté. Au cours des années récentes, cependant, les idéaux républicains
classiques et en particulier la conception de la liberté comme une affaire
publique plutôt que privée ont été ranimés par Hannah Arendt. Plus généralement,
un nouveau pessimisme et une nouvelle insistance sur l’importance de la culture
politique comme condition de la liberté publique rappelle les thèmes
républicains classiques sur la fragilité des républiques et sur le rôle de la vertu pour maîtriser le hasard.
SOURCE :
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Le point de vue d'un spécialiste de science politique à l’Université du Québec à Montréal, le Pr Marc Chevrier.
La République québécoise
La République est la grande oubliée de l’histoire politique du Québec, comme si cette idée qui a inspiré tant de peuples dans le monde n’avait rien à nous dire ici. Pour Marc Chevrier, introduire la République dans nos débats, ce n’est pas seulement deviser sur le remplacement de notre monarque constitutionnel par un président élu, c’est s’interroger sur les fondements de notre démocratie. Dans cette perspective, il étudie d’abord un phénomène paradoxal, le « monarchisme québécois », qui se signale par un penchant à séparer l’État de la communauté des citoyens et par un climat intellectuel particulier, ultramontain, où les lumières, en toutes choses, ne peuvent venir que d’ailleurs.
Il fouille ensuite dans le lointain passé de la Nouvelle- France, cette autre grande incomprise, qui constitue peut-être un fascinant embryon de république moderne, commencée par le choc entre le monde européen inégalitaire et l’univers indien sur lequel plusieurs penseurs européens ont projeté des fantasmes de liberté naturelle.
Il trace les chemins à prendre pour fonder une République du Québec et essaie d’en esquisser quelques traits à travers un certain nombre de questions qui se poseront nécessairement aux constituants, peu importe qu’il s’agisse d’une république indépendante ou d’une république qui, appuyée par un référendum majoritaire, aurait à redéfinir sa place à l’intérieur d’un Canada sommé à son tour de se repenser.
Il pose enfin la question, délicate : une culture patriote du bien public au Québec est-elle encore possible ?
Voir : La République québécoise
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