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samedi 17 novembre 2018

RÉCIPROCITÉ - LA FRANCOPHONIE NORD-AMÉRICAINE


LA FRANCOPHONIE NORD-AMÉRICAINE

DOCUMENT DE TRAVAIL

Préparé par Jean-Luc Dion, pour la Rencontre nationale ,
du 14 mars 1992, L’ACTION  NATIONALE     Hôtel Méridien, Montréal
Atelier no 17: Francophonie nord-américaine.

UNE MÉMOIRE DÉFAILLANTE

     Les Québécois souffrent d’une amnésie nationale sérieuse en ce qui touche la Francophonie nord-américaine en général. Ils oublient trop facilement qu’il y a aux États-Unis près de 14 millions de descendants de personnes émigrées du Québec [1]. Ils oublient ou ignorent que pratiquement toute l’Amérique du Nord a été explorée ou colonisée par des Français et des Québécois (Canadiens Français): plus de 30 États des États-Unis [2] l’ont été, sans compter la plupart des Provinces canadiennes.

     Dès le 16e siècle, des Français ont hardiment commencé l’exploration de ce continent inconnu des Européens. Au cours des siècles, des milliers de villes, villages et autres lieux géographiques en Amérique du Nord ont été nommés par des Québécois et des Français. Qui connaît les personnages exceptionnels que furent Julien Dubuque et Jean-Charles Frémont et leur rôle déterminant dans l’exploration de l’Ouest américain et y laissèrent leur nom? [2].

UNE DIVERGENCE NÉFASTE

     D’une façon générale, au cours des trente ou quarante dernières années, la solidarité des francophones nord-américains s’est singulièrement détériorée en même temps que les Québécois chambardaient leur mode de vie, leurs attitudes et s’engageaient sur la voie de l’indépendance nationale. Le rapide déclin de la francophonie en Nouvelle-Angleterre a pratiquement coïncidé avec la mutation accélérée du Québec. Or, pendant près d’un siècle, les échanges avec les Québécois de la diaspora américaine ont été relativement intenses, par le biais des liens familiaux et religieux surtout [1]. Actuellement, au moment où nous avons un grand besoin d’amitiés solides à l’échelle de la planète, nos ramifications nord-américaines s’étiolent gravement.

     Cela ne devrait-il pas soulever de sérieuses questions quant à notre capacité de rallier des appuis à nos projets nationaux? N’y a-t-il pas lieu devant cet état de fait d’ajouter à nos premières priorités le rétablissement ou l’établissement de liens et relations de diverses natures avec des personnalités et groupes francophones, de fait ou de descendance, tant aux États-Unis qu’au Canada?

DES MINORITÉS SANS MÉTROPOLE

     “Un des arguments fallacieux que les fédéralistes (ou plutôt “ unitaristes ”) affectionnent est celui de l’“abandon” des minorités francophones du Canada: comme si le sort que leur avait fait le Canada était tellement enviable, avec des taux d'assimilation dépassant 70% [3,4]! Le rare groupe qui manifeste une vigueur remarquable est le peuple acadien dont la solidarité légendaire a permis la survivance, essentiellement au Nouveau-Brunswick, malgré les conditions faites par le système canadien [5]. La minorité ontarienne est certes importante, mais ne peut guère vivre sa culture, dispersée comme elle est, avec des moyens culturels généralement faibles” [8].

     D’innombrables études démontrent à l’évidence que “plus on s’éloigne du Québec (au Canada), moins la rétention du français est forte” [3]. Plus les groupes francophones sont minoritaires, plus ils sont coupés du Québec et de la France, plus l’assimilation est galopante. Le problème majeur de ces francophones ne serait-il pas qu’ils sont en train de perdre, ou ont déjà perdu, les liens vitaux avec une “métropole”, que ce soit la France ou le Québec, où la culture et la langue française sont vivantes et dominantes?

     La stratégie fédérale élaborée par P.E. Trudeau et qui fait aujourd’hui ses ravages en douce fut de remplacer cette appartenance essentielle par une mythologie du bilinguisme à la canadian. L’effet bien évident de cette stratégie est de remplacer les liens vivants, organiques, entre gens d’une même culture par des relations impersonnelles avec des fonctionnaires décrétés bilingues. On sait par ailleurs qu’une infime minorité de ces francophones ose s’adresser en français à qui que ce soit dans un lieu public. Le drame de ces francophones est qu’ils n’ont plus de patrie.

     Cette situation est à comparer à celle des minorités allemandes dans divers pays qui sont toujours considérées comme telles par l’Allemagne, même si leur déracinement de la mère patrie (Heimat) remonte à plusieurs centaines d’années. Sait-on que ces Allemands de la diaspora, qui ont souvent même oublié leur langue d’origine, comptent pour la grande majorité des immigrants qui sont naturalisés Allemands. La Francophonie nord-américaine semble donc avoir grand besoin d’une métropole culturelle pour reprendre confiance. Cette métropole peut être le Québec et la France combinés.

DES ATTITUDES NOUVELLES À DÉVELOPPER

     N’est-il pas évident que le Québec doit modifier radicalement son attitude vis-à-vis la francophonie nord-américaine? Peut-on concevoir que le Québec réussissent son projet d’accession à la pleine souveraineté en négligeant tout le potentiel d’amitiés et de solidarités offert par la dispersion québécoise et francophone nord-américaine? De la même façon, ne serait-il pas infantile et irresponsable de se couper de la France et de la Francophonie mondiale? N’avons-nous pas plus de mille ans d’histoire commune avec la France?

     Si la langue française est toujours relativement répandue dans le monde et bénéficie d’un prestige certain, qui ou quoi en est principalement responsable? Quelle est la part du Québec, État dominé et asservis, à l’établissement et au maintien de ce prestige? Quand on voit le peu de considération qu’elle subit dans divers milieux, et pas des moins élevés, on peut en douter sérieusement!

     N’y a-t-il pas lieu de se poser quelques questions de fond sur le sens de notre action au plan national? Est-ce qu’une absence de compréhension de notre part des lois essentielles dont l’observance fait les peuples forts ne va pas nous condamner à reprendre les mêmes combats dérisoires et stériles jusqu’à l’étiolement final, en laissant aller à la dérive les divers groupes de la Francophonie nord-américaine? L’observation des ridicules “débats constitutionnels” animés par nos fédéralistes suffit à en convaincre n’importe quel observateur honnête.

     Aux dernières nouvelles, nos insignifiants dirigeants “bourassiens” ne sont-ils pas prêts à balancer par dessus bord le résultat des délibérations laborieuses et sérieuses de la Commission Bélanger-Campeau, ainsi que le Rapport Allaire? Ne laissent-ils pas entendre essentiellement à l’establishment canadian qu’ils pourraient se satisfaire de Meech moins ? Comment la diaspora francophone nord-américaine peut-elle y trouver quelque sujet d’admiration pour les Québécois?
     Il est certain que dans ce climat, avec de tels dirigeants indignes, la création de liens solides et mutuellement profitables avec la Francophonie nord-américaine, comme avec le reste d’ailleurs, ne peut se réaliser. Mais, ne sommes-nous pas ici pour établir les bases de ce qui devra se faire quand nous nous serons donné les moyens de le faire?

QUELQUES MOYENS CONCRETS

     La réussite de l’établissement sur des bases nouvelles de relations avec la francophonie canadienne et nord-américaine suppose que le Québec dispose de tous les moyens d’un État normal. La République du Québec pourra adopter un certains nombres de mesures et négocier des ententes avec le Canada et les États-Unis dans le but d’établir des rapports normaux avec des francophones intéressés dans ces pays.

     Avec le Canada, considérant la minorité anglophone du Québec, il est impérieux d’en arriver à un accord de réciprocité dans le traitement des minorités d’un pays qui sont issues de l’autre ou se reconnaissent une appartenance culturelle à l’autre [8].

La double nationalité

     Voici maintenant les grandes lignes d’un système de double nationalité pouvant être établie au Québec et au Canada [8].

  Au moment où le Québec et le Canada parviennent au statut d’États distincts, il est offert simultanément aux membres de la minorité francophone du Canada et de la minorité anglophone du Québec nés dans l’un ou l’autre pays d’avoir la citoyenneté des deux pays.

  La proportion de citoyens québécois et de citoyens canadiens ayant la double nationalité doit en tout temps être la même, à quelques centaines ou quelques milliers d’individus près, et ne pourra jamais dépasser 10% (ou un valeur voisine) de la population de l’un ou de l’autre pays. Il est d’importance capitale que cette proportion soit inscrite dans la constitution de chaque pays pour éviter des querelles et contestations interminables.

  Le statut de l’une ou de l’autre minorité linguistique ayant la double nationalité doit être défini de façon identique dans la constitution des deux pays et ses droits concrets assurés d’une façon démontrable dans les faits.

  Cette double citoyenneté doit assurer des avantages et des obligations de diverses natures qui soient tout-à-fait comparables dans les deux pays: mêmes proportions d’écoles et d’universités, de stations de radio et de télévision et autres installations culturelles, etc.

  Chaque pays assume constitutionnellement les frais des services offerts à sa minorité désignée: enseignement, distribution des signaux de radio et de télévision, etc.

  Les deux pays organisent conjointement des programmes de bourses d’études et d’échanges permanents d’étudiants, de travailleurs, etc, dont les contingents sont formés en moyenne de 33% de membres de la minorité désignée, par exemple.

  La première allégeance d’un citoyen ayant la double nationalité doit être au pays dans lequel il vit habituellement. Chaque pays doit avoir naturellement des attitudes et des politiques qui évitent de placer ces citoyens en situation de conflit d’intérêt ou d’allégeance.

Ces arrangements particuliers entre les deux pays doivent être considérés comme des facteurs de paix et d’harmonie.

     De plus, considérant le fait qu'il y a aux États-Unis plus de 10 millions de descendants de Québécois, le Québec devrait également offrir la citoyenneté québécoise à ceux qui en feraient la demande en pouvant prouver leur origine. Ceci serait accompli en accord avec le gouvernement des États-Unis.

     Diverses autres mesures pourraient être prises dont les suivantes au plan politique:
-    Deux sièges d'observateurs avec droit de parole seront réservés à l'Assemblée Nationale du Québec à des représentants élus de la communauté québécoise et francophone du Canada, ainsi que des États-Unis le cas échéant ([1]). Ils pourront normalement participer à tous les travaux de l'Assemblée Nationale. Les modalités d'élection seront à définir.

-    L'Assemblée Nationale du Québec convoquera une commission parlementaire annuelle sur l'État des communautés québécoises et francophones nord-américaine. Ses travaux pourraient être coordonnés par une “direction permanente des relations avec les communautés francophones” ([2]).

-    Les réseaux de radio-télévision et les journaux québécois maintiendront des correspondants permanents dans tous les principaux centres de concentration de la minorité québécoise au Canada.

-    etc...

BIBLIOGRAPHIE
[1] Pierre ANCTIL, La Franco-Américanie et le Québec: une solidarité à réinventer, L’Action Nationale, vol. LXXX, no 6, juin 1990, p. 830-843.
[2] Une Amérique française, Jacques-Donat CASANOVA et Armour LANDRY, Documentation Française et Éditeur Officiel du Québec, 1975.
[3] Robert BOURBEAU, Évolution démolinguistique des francophones hors Québec, L’Action Nationale, vol. LXXXI, no 3, mars 1991, p. 330-342.
[4] Charles CASTONGUAY, L’effondrement démographique des minorités francophones, L’Action Nationale, vol. LXXXI, no 8, octobre 1991, p. 1076-1079.
[5] Aujourd’hui l’Acadie, numéro spécial de l’Action Nationale, vol. LXVII, no 3-4, nov.-déc. 1977.
[6] Michel BROCHU, Le Québec à la sauce américaine, L’Action Nationale, vol. LXVII, no 7, mars 1978, p. 577-579.
[7] Ernest LAFORCE, Immigration et immigrants, L’Action Nationale, vol. LXVII, no 7, mars 1978, p. 547-558.
[8] Jean-Luc DION, Les francophones du Canada: un cas de nécessaire réciprocité L’ACTION NATIONALE, volume 81, n˚ 4, avril 1991
[9] Rêves d’empire, le Canada avant 1700, André VACHON, Victorin CHABOT et André DESROSIERS, Archives Publiques du Canada, 1982.

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[1]   Une proposition semblable figure dans le mémoire présenté par le Conseil de la  Vie Française en Amérique  à la Commission Bélanger-Campeau, en novembre 1990.
[2]   Ibid.