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mardi 22 janvier 2013

ILLUSIONS DÉGONFLÉES

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Il faut lire et diffuser la magistrale réponse de l'éditorialiste du Devoir,
Antoine Robitaille, à André Pratte, éditorialiste de La Presse...
Un échange capté sur Facebook.

Le 21 janvier 2013


Antoine Robitaille - J'ai eu un échange intéressant avec André Pratte par courriel. Ce matin, à la suite de mon texte, il m'écrit :

Salut Antoine,

Tu ne t'étonneras pas que je sois en désaccord avec plusieurs de tes arguments de ce matin. Mais il y a une phrase qui m'a vraiment fait tiquer. B. Pelletier serait «l'un des derniers réels fédéralistes québécois (les autres étant «canadians»)», selon toi. Pourquoi Pelletier est-il un réel fédéraliste, et pas d'autres? Est-ce que c'est comme les «vrais Québécois» et ceux qui ne le sont pas? Et pourquoi des «canadians»? C'est quoi un Canadian: un vendu? Un traître?

Bonne journée,
André 
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Je lui ai répondu ce qui suit :

Cher André, 

Épargne-moi ce type de procès d'intention, s'il te plaît! Dans mon esprit, les fédéralistes «canadians», ce sont ceux qui acceptent l'ordre de 1982. D'abord parce qu'ils en profitent. Will Kymlicka démontre bien dans le livre que j'ai traduit (Finding our Way, rethinking ethnocultural relations in Canada,http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/voie-canadienne-1138.html ) que les individus composant ce qu'il nomme lui-même la «nation anglophone» du Canada ont beaucoup gagné de cette réforme.

Avec 1982, «l’idée que le Canada constitue une communauté nationale unique» l'a emporté. Or, «pour les anglophones, [cela] revient à dire que ces derniers devraient être en mesure de vivre et de travailler en anglais dans l'ensemble du pays, en pouvant y transporter partout leurs droits et leurs avantages sociaux. Ces aspects de la conception canadienne anglaise du nationalisme pan-canadien contribuent non seulement à augmenter la mobilité des Canadiens anglophones mais aussi à accroître leur poids politique. Si les droits et les normes linguistiques des programmes sociaux doivent être de portée nationale, les décisions doivent alors être prises au niveau fédéral plutôt que provincial. Cela signifie par conséquent que ces décisions seront prises dans un forum où les Canadiens anglophones constituent une écrasante majorité. En soutenant une conception pancanadienne de la nationalité, les Canadiens anglophones s’assurent donc que leurs droits linguistiques et leurs avantages sociaux à travers leur pays ne sont jamais soumis aux décisions d’un corps politique dans lequel ils sont une minorité.»

Les fédéralistes «canadians», c'est aussi ceux qui, souvent au Québec, fatigués par de longs combats, en viennent à accepter l'ordre de 1982. De guerre lasse, ils se disent: «Il n'y a plus rien à tenter. Et l'alternative, la souveraineté du Québec, ce serait désagréable.» Alors autant se faire une raison et tenter de magnifier ce qu'il y a de bon dans ce pays. (Est-ce ce que tu fais avec «L'idée fédérale»? Peut-être, je n'ai pas lu tous vos documents. Il est certain que de contempler «l'idée» fédérale est peut-être plus commode que de se pencher sur sa «réalité» fédérale. Ha, ha, permets-moi quand même un peu de mauvaise foi, toi qui m'a presque accusé de racisme tout à l'heure!)

Les «fédéralistes québécois» ont perdu sur toute la ligne. Quand ils s'en sont rendu compte, ils ont froncé les sourcils et, dans un baroud d'honneur, en 1990-1991, ont laissé miroiter que cela pourrait les conduire à s'engager dans la voie de la souveraineté. Mais ils se sont dégonflés. (Hypothèse : s'ils avaient été conséquents, nous aurions peut-être aujourd'hui une nouvelle confédération de type «Canada-Québec» et nous serions peut-être passés à autre chose, qui sait? Bien des choses auraient été clarifiées.)

Ce qui est terrible, c'est que ces pauvres «fédéralistes québécois» sont présentés comme des enfants gâtés dans le reste du dominion alors qu'ils n'ont RIEN gagné. Permets-moi de te citer Kymlicka de nouveau. Il y a une «opinion souvent entendue au Canada anglophone selon laquelle il nous faut rejeter les demandes constitutionnelles du Québec parce que "nous ne cessons de donner sans cesse aux Québécois, mais ils ne sont jamais contents". Or, dans les faits, lors des nombreuses rondes de négociations constitutionnelles au cours des trente dernières années, aucune des demandes constitutionnelles du Québec n’a été satisfaite. La seule réforme constitutionnelle qui eut lieu — le rapatriement de 1982 — était empreinte de la haine idéologique de Trudeau pour le nationalisme québécois et a reçu l’appui de toutes les provinces sauf le Québec. Bref, en 30 ans de débat et de réformes constitutionnels, le Québec a sans cesse été le perdant et n’a rien gagné».

Kymlicka ajoute un passage du philosophe Jeremy Webber qui notait qu'on a accusé les Québécois «… de dominer le Canada, même si la constitution avait été rapatriée sans leur consentement. Les modifications constitutionnelles avaient était faites en réponse à l’inquiétude de l’Ouest à propos de la fiscalité des ressources naturelles; elles avaient constitutionnalisé les droits scolaires des minorités de langues officielles; elles avaient garanti — en termes généraux — les droits des autochtones et avaient reconnu l’héritage multiculturel du Canada, mais dans toutes ces années de délibérations, aucune modification ne fut adoptée à la demande du gouvernement du Québec, pas une seule modification n’avait pris les préoccupations traditionnelles du Québec en compte quant au pouvoir fédéral de dépenser, quant au partage des compétences, au pouvoir de désaveu, ou à la reconnaissance du caractère distinct du Québec».

Les fédéralistes québécois, qui sont-ils? Ce sont les Ryan, Bourassa, et compagnie. On pourrait dire que Brian Mulroney avait une vision «québécoise» de la fédération canadienne. Il a perdu. Des politologues canadiens anglais comme Kenneth McRoberts aussi.http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/pays-refaire-866.html
Tu connais sans doute le livre de Guy Laforest qui analyse la «Fin d'un rêve canadien»; rêve déchu des Solange Chaput-Rolland et autres Gérald Beaudoin. Je vois en Benoît Pelletier un des derniers représentants de ce courant.

Un peu comme leurs adversaires souverainistes, ces autres perdants, les tenants de ce courant n'arrivent pas à «ranimer la flamme» pour leur option.

Depuis 1995, il y a eu les gouvernements Bouchard et Landry, souverainistes, qui ont espéré mais se sont buté à la réalité. Puis, Jean Charest est arrivé. Il n'a pas complètement abandonné le fédéralisme québécois puisqu'il a valorisé par exemple la doctrine Gérin-Lajoie. Il a réussi à obtenir des «gains» administratifs. A tenté d'anesthésier toute volonté de revendication trop ambitieuse à l'endroit du fédéral, cependant. A répété que dans une fédération, on se dispute, «c'est normal». Qu'on ne change pas de pays parce qu'on ne s'entend pas avec le gouvernement central. Au pouvoir, Jean Charest s'est employé à dédramatiser au maximum les heurts avec le fédéral. Quant à ses «gains», Jean Charest a répété sa liste à satiété: «On s'est entendus sur le fédéralisme asymétrique dans l'entente sur la santé. [...] on s'est entendus sur l'UNESCO. Sur le plan des valeurs, on s'est entendus sur les congés parentaux [...]. Sur le plan des valeurs, on s'est entendus sur l'exploitation d'Old Harry.» (octobre 2011)

Mais il n'y a vraiment rien de facile pour le Québec à Ottawa depuis l'arrive de Stephen Harper au pouvoir, lui qui avait pourtant promis, à Québec en 2005, une Charte du fédéralisme d'ouverture (ce qui enchanta Benoît Pelletier en passant). Sept ans plus tard, le dernier ministre libéral des Relations intergouvernementales, Yvon Vallières, a pourtant déclaré avant de quitter son poste que le gouvernement fédéral avait «oublié» le Québec.

Malgré tout, j'entends les candidats à la chefferie du PLQ plaider encore et encore la bonne-entente, faisant de belles professions de foi fédéralistes, répétant qu'il faut discuter encore, participer au fédéralisme canadien; ce même système qui a systématiquement transformé ses défenseurs québécois en perdants. Philippe Couillard propose de renforcer le Conseil de la fédération, lui donner un secrétariat. Pourtant, je me souviens de la colère d'un Claude Ryan, en 1999, contre l'échec de ce qu'on a appelé l'Union sociale, où le Québec s'est retrouvé isolé. «C’est la troisième fois, au cours des 30 dernières années, qu’après s’être engagé dans une démarche commune avec les autres provinces et territoires, le Québec aura été lâché en cours de route par ses partenaires», a dit Ryan. La première fois, c'était, avait-il expliqué, lors du rapatriement de la Constitution, en 1981. La seconde, lors de l’accord du lac Meech, en 1990.

Il est donc immanquable que devant les difficultés actuelles et anciennes des fédéralistes québécois, l'on se retourne vers le contrat fondamental de ce pays en se demandant s'il n'est pas en cause, s'il n'est pas vicié. Et à ce moment, on se souvient que ce sont les fédéralistes québécois eux-mêmes qui nous l'ont dit sans arrêt dans les années 1980-1991 qu'il était vicié. Et ils étaient très convaincants ! Écoutons Robert Bourassa en 1990 : «On fait des propositions, ça marche jamais. Si le Canada lui-même refuse toute rénovation du fédéralisme à ce moment là, on ne peut pas nous reprocher, de faire la souveraineté. Ce que le Parti libéral dit, c'est qu'on veut que le Québec se développe sans démanteler le Canada. Mais si tous les efforts pour que le Québec puisse se développer sans démanteler le Canada demeurent vains, à ce moment là, la restriction [...] qu'on veut développer sans démanteler, la restriction n'existe plus. Mais c'est pas la responsabilité du Québec.»

L'ennui, André, c'est que l'alternative a été essayée; non pas par M. Bourassa mais par Jacques Parizeau, assisté d'un homme que tu connais bien pour le côtoyer, Lucien Bouchard. Si M. Bourassa avait tenté le coup, il aurait pu adopter l'attitude des indépendantistes américains. Insister sur le fait qu'il a tout tenté pour changer cette fédération. Il aurait pu se montrer raisonnable, reprenant les termes d'une fameuse déclaration: «La prudence enseigne, à la vérité, que les gouvernements établis depuis longtemps ne doivent pas être changés pour des causes légères et passagères.» Pour ajouter ensuite : «Mais lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations»...

Non, l'autre option du Québec s'est aussi abîmée, elle a perdu. De justesse, mais elle a perdu en 1995. Que faire maintenant que nos deux utopies — fédéralisme renouvelé et souveraineté-partenariat— ont échoué? Le Québec actuellement choisi le déni. Dans le camp souverainiste, on scande «on veut un pays» en refusant de voir que celui-ci est loin d'être à l'horizon; ou alors on s'épuise dans des luttes de chapelles. Dans le camp libéral, le déni confine à une sorte de bonne-ententisme; quand les vieux combats sont évoqués, par M. Couillard ou d'autres, ils le sont sur le mode réservé aux «vieux griefs»: c'est-à-dire repris sans conviction ni espoir réel de victoire. La CAQ, elle, a le déni extrême : on cesse carrément de parler de ces deux impasses et on se concentre sur la petite gestion.

C'est une situation malsaine, André, et les fédéralistes québécois, effondrés depuis 1991, qui ont cessé de cultiver leur rêve, en sont en grande partie responsables. D'où ma petite colère de ce matin à leur endroit. 

À bon entendeur, salut, 

Antoine Robitaille

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