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mardi 29 novembre 2011

FRANCOPHONIE - LA NÉCESSAIRE RÉCIPROCITÉ



Les francophones du Canada:
un cas de nécessaire réciprocité

Jean-Luc DION, ing.
Université du Québec à Trois-Rivières

Article publié dans L’ACTION NATIONALE, volume 81, n˚ 4, avril 1991


Résumé

Le professeur Dion formule des propositions concrètes pour établir des relations harmonieuses et permanentes avec les francophones hors Québec. Il réclame un traitement de réciprocité pour la minorité française établie au Canada anglais et pour la minorité britannique du Québec. Ces minorités jouiraient de la double nationalité et de divers droits et avantages.

Des modalités d’applications sont suggérées pour améliorer le système d’enseignement et les services de la télévision et de la radio. L‘auteur recommande au gouvernement d’appliquer diverses mesures d’ordre politique, culturel et économique. Il croit qu’un Québec indépendant “pourra désormais assumer pleinement son rôle historique en Amérique du Nord”.

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Dans peu de temps, les Québécois auront choisi leur “chemin de l’avenir” qui passe logiquement et nécessairement par le plein exercice de leur souveraineté. Il n’y a rien là que de parfaitement normal. Entre-temps, les adversaires de l’affirmation québécoise vont répéter ad nauseam les mêmes rengaines usées que depuis des décennies. Ils vont même recourir au chantage pour tenter de maintenir le pays sous la gouverne canadienne. Un des arguments fallacieux que les fédéralistes affectionnent est celui de l’“abandon” des minorités francophones du Canada: comme si le sort que leur avait fait le Canada était tellement enviable, avec des taux d’assimilation atteignant 70%! Le rare groupe qui manifeste une vigueur remarquable est le peuple acadien dont la solidarité légendaire a permis la survivance, essentiellement au Nouveau-Brunswick, malgré les conditions faites par le système canadien. La minorité ontarienne est certes importante, mais ne peut guère vivre sa culture, dispersée comme elle est, avec des moyens culturels généralement faibles.

Or, pour les partisans du Québec souverain, il n’a jamais été question d’abandonner nos compatriotes minoritaires du Canada. J’ai toujours pensé qu’il serait lâche de se désintéresser du sort de ces communautés qui doivent constituer des pôles de rayonnement de la culture française et québécoise, dans la mesure où nous leur en donnerons les moyens. D’autre part, il faut bien dire que le Québec constitue en quelque sorte l’ultime port d’attache nord-américain pour les francophones qui tiennent à conserver et faire vivre leur culture. Il faut donc envisager d’une façon concrète, et enfin sérieuse, les moyens de soutenir ceux des francophones du Canada, et même d’ailleurs en Amérique, qui admettent l’importance vitale d’un rattachement culturel et polyvalent au Québec. Il faut bien dire qu’une minorité culturelle qui ne se rattache à aucune “métropole” voit sa raison d’être singulièrement réduite.

Dans son éditorial du 26 novembre 1990, madame Lige Bissonnette, directrice du Devoir, a placé le problème dans une bonne perspective. Elle a fait allusion aux nécessaires ententes Québec-Canada pour raffermir les liens entre les Québécois et leurs frères de l’extérieur, quelle que soit notre décision collective, mais sans proposer de moyens concrets.

POUR UNE RÉCIPROCITÉ CONCRÈTE ET JUSTICE

Je voudrais ici proposer ce qui me semble un moyen concret, et peut-être dans son essentiel le seul véritable, de solutionner ce problème. Problème qui se pose également et se posera certainement avec autant d’acuité pour les anglophones du Québec indépendant. Il s’agit d’une solution de justice, de réciprocité et de respect mutuel:
trois termes qu’on doit considérer d’une égale importance, quand il s’agit de la communauté francophone du Canada et de la communauté anglophone du Québec.

En bref, pour resserrer les liens et assurer un traitement équitable des minorités locales, il s’agit d’offrir à la minorité francophone du Canada la nationalité québécoise, et à la minorité anglophone du Québec la nationalité canadienne, en plus de la leur. Ce seraient les minorités désignées. Cela implique un certain nombre de règles précises dont l’observance doit assurer l’harmonie des relations Québec-Canada dans ce domaine.

Cette proposition est faite dans une perspective d’harmonie et d’échanges mutuellement profitables et soutenus entre les deux pays. Les divers énoncés qui suivent visent à exprimer l’essentiel de la proposition, sans entrer dans les détails d’application qu’il faudra préciser le cas échéant. La question amérindienne doit être traitée distinctement.

LA DOUBLE NATIONALITÉ

On présume que le Québec aura auparavant offert aux minorités francophones du Canada d’excellentes conditions d’immigration. Il devrait en être sensiblement de même pour la minorité anglophone du Québec. Mais on peut prédire qu’un nombre relativement faible s’en prévaudra, dans la mesure où l’on aura de part et d’autre un comportement civilisé. Voici maintenant les grandes lignes du système de double nationalité.

1˚ Au moment où le Québec et le Canada parviennent au statut d’États distincts, il est offert simultanément aux membres de la minorité francophone du Canada et de la minorité anglophone du Québec nés dans l’un ou l’autre pays d’avoir la citoyenneté des deux pays.

2˚ La proportion de citoyens québécois et de citoyens canadiens ayant la double nationalité doit en tout temps être la même, a quelques centaines ou quelques milliers d’individus près, et ne pourra jamais dépasser 10% (ou une valeur voisine) de la population de l’un ou de l’autre pays. Il est d’importance capitale que cette proportion soit inscrite dans la constitution de chaque pays pour éviter des querelles et contestations interminables.

3˚ Le statut de l’une ou de l’autre minorité linguistique ayant la double nationalité doit être défini de façon identique dans la constitution des deux pays et ses droits concrets assurés d’une façon démontrable dans les faits.

4˚ Cette double citoyenneté doit assurer des avantages et des obligations de diverses natures qui soient tout à fait comparables dans les deux pays: mêmes proportions d’écoles et d’universités, de stations de radio et de télévision et autres installations culturelles, etc.

5˚ Chaque pays assume constitutionnellement les frais des services offerts à sa minorité désignée: enseignement, distribution des signaux de radio et de télévision, etc.

6˚ Les deux pays organisent conjointement des programmes de bourse d’études et d’échanges permanents d’étudiants, de travailleurs, etc., dont les contingents sont formés en moyenne de 33% de membres de la minorité désignée, par exemple.

7˚ La première allégeance d’un citoyen ayant la double nationalité doit être au pays dans lequel il vit habituellement. Chaque pays doit avoir naturellement des attitudes et des politiques qui évitent de placer ces citoyens en situation de conflit d’intérêt ou d’allégeance.

Ces arrangements particuliers entre les deux pays doivent être considérés comme des facteurs de paix et d’harmonie.

De plus, considérant le fait qu’il y a aux États-Unis plus de 10 millions de descendants de Québécois, le Québec devrait également offrir la citoyenneté québécoise à ceux qui en feraient la demande en pouvant prouver leur origine.


QUELQUES MODALITÉS D’APPLICATION

Comité paritaire permanent

Dans tous les cas, la quantité et la qualité des services offerts aux deux minorités doivent être comparables. Afin de veiller à l’application équitable de l’accord passé entre les deux pays, on formera un comité paritaire permanent constitué de sept membres, dont un président. Ce dernier serait alternativement un Canadien et un Québécois désigné par son gouvernement, avec un mandat renouvelable aux deux ans. Chaque pays nomme trois membres dont deux de la minorité désignée et un de l’Assemblée nationale du Québec ou de la Chambre des communes du Canada, nommés annuellement pour deux ans, avec mandat renouvelable une fois. Le rapport annuel du comité est étudié par ces derniers organismes qui y donnent suite. Le comité se réunit alternativement dans l’un et l’autre pays. Le financement du comité est assuré par chaque gouvernement en proportion de sa minorité désignée.

Système d’enseignement

— Chaque minorité désignée doit avoir des institutions d’enseignement dans sa langue à tous les niveaux, en nombres proportionnels à son importance respective et doit en avoir le contrôle, en conformité avec les lois du pays.

— Le financement de ces institutions par chaque pays doit être le même que pour les institutions de ses citoyens “réguliers”.

— Les programmes d’enseignement dans les institutions des minorités désignées doivent être harmonisées aux programmes de la majorité, sans en dépendre entièrement.

— La langue de la majorité doit être un sujet d’enseignement obligatoire et de qualité, à compter de la première année du cours primaire, jusqu’à la fin du cours secondaire.

— Il faudra faire en sorte que la minorité désignée joue un rôle privilégié dans l’enseignement de sa langue et son rayonnement culturel dans les institutions de la majorité.

Services culturels -o- Radio et télévision

— Les membres des minorités désignées doivent disposer d’un nombre de stations de radio et de télévision proportionnel à leur importance numérique, installés dans les régions où ces minorités les requièrent.

— Le soutien financier de chaque pays au développement du réseau de radio et de télévision de sa minorité désignée doit être comparable en proportion à celui qu’il donne à ses réseaux nationaux.

— Les diverses chaînes nationales de radio et de télévision d’un pays doivent être normalement accessibles dans l’autre, par la coopération des réseaux des deux pays.

— La transmission des signaux de radio et de télévision destinés à la minorité désignée de chaque pays est assurée gratuitement par ce dernier, ou selon d’autres modalités négociées.


PARTICULARITÉS DU SOUTIEN QUÉBÉCOIS

Diverses autres mesures concrètes devraient être mises en vigueur par l’État québécois.

Au plan politique

— Deux sièges d’observateurs avec droit de parole seront réservés à l’Assemblée nationale du Québec à des représentants élus de la communauté québécoise et francophone du Canada, ainsi que des États-Unis, le cas échéant’. Ils pourront normalement participer à tous les travaux de l’Assemblée nationale. Les modalités d’élection seront à définir.

— L’Assemblée nationale du Québec convoquera une commission parlementaire annuelle sur l’état des communautés québécoises et francophones nord-américaines. Ses travaux pourraient être coordonnés par une “direction permanente des relations avec les communautés francophones”2.

— Les réseaux de radio-télévision et les journaux québécois maintiendront des correspondants permanents dans tous les principaux centres de concentration de la minorité québécoise au Canada.

1. Une proposition semblable figure dans le mémoire présenté par le Conseil de la Vie Française en Amérique à la Commission Bélanger-Campeau en novembre
1990.

2. Ibid.


Au plan culturel

— Le Québec maintiendra un programme permanent de subvention et de soutien à la diffusion au Canada des publications québécoises (journaux, revues, disques, etc.). La communauté québécoise du Canada sera appelée à jouer un rôle privilégié dans ce domaine. Inversement, ce programme devra favoriser la diffusion au Québec des productions culturelles de cette communauté.

— Les réseaux de radio-télévision et les journaux québécois maintiendront des correspondants permanents dans tous les principaux centres de concentration de la minorité québécoise au Canada.

— Le Québec apportera un soutien technique et financier aux productions radio-télévision de la minorité québécoise du Canada et à leur diffusion, tant au Canada qu’au Québec.

— Le Québec maintiendra des programmes réguliers permettant des séjours prolongés d’études et de travail au Québec destinés aux membres de la communauté québécoise du Canada, tout particulièrement les jeunes. Un volet de ces programmes pourra s’adresser aux autres communautés francophones d’Amérique.


Au plan des relations économiques

— Les membres de la communauté québécoise du Canada pourront jouer un rôle d’intermédiaires privilégiés dans nos relations avec le Canada, particulièrement dans le domaine des relations économiques.

— On doit considérer les hommes d’affaires de la communauté québécoise au Canada comme les mieux placés, tant pour assurer la distribution des produits québécois que pour régler des échanges mutuellement profitables entre les deux pays.

Conclusion

Avec son accession à l’indépendance, le Québec pourra désormais assumer pleinement son rôle historique en Amérique du Nord.

Ayant les moyens d’un État normal et développant au maximum toutes ses compétences, il pourra établir des relations fécondes avec les diverses communautés francophones qui espèrent des formes variées de relations et de soutien à leurs activités. 
En proposant particulièrement à la communauté francophone du Canada la nationalité québécoise, assortie d’organismes permanents basés sur la réciprocité Québec-Canada, le Québec fera facilement plus pour elle qu’il n’a jamais fait. Comme États civilisés en bons termes, les deux pays devraient trouver normal d’harmoniser les conditions de vie faites à leurs minorités désignées.

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« Aucune nation ne peut, sans se mettre gravement en danger,
   laisser à une autre des décisions qui affectent son existence même.»

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