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dimanche 27 septembre 2009

Pierre FALARDEAU : UN HOMME DEBOUT !

HOMMAGE À UN HOMME DEBOUT !




Pierre Falardeau, l’humaniste
jamais ne s’éteindra la lampe, la lueur qui te guidait
René Boulanger
Tribune libre de Vigile - dimanche 27 septembre 2009


Mon ami Pierre Falardeau s’est éteint hier soir. Il a vécu sa maladie avec un courage qui dépasse même sa légende. On voit qu’il a fait ce qu’il fallait pour se prolonger, pour donner aux siens des moments qui devenaient de plus en plus précieux. Lui, qui aimait la boxe, il a livré son plus beau combat. Ce soir, je devrais invoquer la douleur de l’absence, et je sais qu’elle viendra, mais pour l’instant, sa présence est si forte qu’elle efface la mort. Pierre Falardeau n’a pas dit son dernier mot. Comme la lumière des étoiles lointaines, ils voyagent encore jusqu’à nous. « Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance. »
Ces mots étaient écrits sur une banderole qu’il avait fait faire aux jeunes années de sa vie. Cette banderole, il la promenait dans toutes les manifestations, dans tous les parcours. Elle résume sa vie. Il l’avait reprise du leader vietnamien Ho Chi Minh et en avait fait le cœur de son discours. Il l’avait volée comme il disait souvent des phrases les plus audacieuses qu’il mettait dans la bouche de ses personnages. Même volée, elle se révélait comme la plus authentique de ses formules. Malgré sa limpidité, sa luminosité, il lui a fallu toute une vie pour en expliquer le sens. Pour la raison très précise que lui avait révélée La Boétie dans son « Discours sur la Servitude Volontaire. » écrit au XVIème siècle, à savoir que la 3ième génération à en être privée n’a plus aucun souvenir de ce qu’est la liberté.
L’homme libre qui surgit au cœur de la servitude ne peut vivre que l’exaspération, la rage et la colère car ceux à qui il parle refusent d’entendre et de comprendre. Ils acceptent que leur vie serve à construire leur propre prison. Ils deviennent leurs propres gardiens. Ils pourchassent et injurient ceux qui les invitent à défaire leur attachement consenti.
Soumis aux puissances de l’Argent, à la suprématie du monde impérial anglo-saxon, les Québécois portent au pouvoir les profiteurs locaux du système colonial. Ils confondent la liberté avec le fait de dépenser et de se déplacer en char. Ils donnent leur vie, ils la consacrent à l’enrichissement des détrousseurs de fonds publics. Et pour se perdre encore plus, ils assassinent leur propre culture et mutilent leur histoire, cultivant l’oubli et la résignation.
Dans ce monde assagi et soumis, l’homme libre est un fauve à abattre, une bête à dompter. Or, il est bien le seul qui n’ait pas tort.
« Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance. »
Pour avoir compris cela jusqu’à le vivre dans sa chair, Falardeau avait bien le droit de répartir les coups de pied au cul et les tapes sur la gueule qui se perdent d’ailleurs trop souvent. L’insignifiance, la veulerie et la trahison glorifiée ne se dénoncent pas par la politesse. Seul, ou presque seul, il n’avait pour se défendre que sa parole.
Contrairement à ce qu’on dit, il n’en a pas abusé. Les écarts de langage n’en étaient pas. Il faut savoir que la lutte pour la liberté est surtout un combat moral et d’abord à l’intérieur de nous-mêmes. Contre cette morale de l’homme libre se dresse l’immoralité du maître. Contre cette morale du premier destin de l’homme se dresse l’amoralité du servile. Il n’y a pas de zone neutre entre le Noir et le Blanc, entre l’acceptation et le refus, entre la résignation et la révolution.
Et dans ce combat vers l’ascension morale, importe-t-il aujourd’hui de se dire que cet homme seul avait raison contre tous. Falardeau avait raison sur toute la ligne. Oui, les salopards étaient bien des salopards, les vendus étaient bien des vendus, les trous-du-cul étaient bien des trous-du-cul, les sales pourritures étaient bien des sales pourritures. On connaît leurs noms. Ils ont vendu leurs frères, ils ont souillé l’âme des peuples, ils ont trahi leurs pères. Oui, les crétins étaient des crétins, les demi-hommes étaient des demi-hommes, les pleutres étaient des pleutres et les pleurines étaient des pleurines. Ils ont laissé piller la forêt, détruire la terre nourricière, ils ont laissé détruire notre culture et s’effacer notre langue, ils ont baissé les bras devant l’impérialisme sauvage et colonisateur, ils ont prêché la bonne entente avec les destructeurs de notre nation. Tous ont des noms.
Et que dire de ceux qui mentaient au nom de leur job à sauver. De ceux qui cachaient le crime au nom de leur job à sauver. De ceux qui couchaient avec les boss, de ceux qui protégeaient le voleur, de ceux qui se faisaient payer le sUNilence.
Mais encore et que dire encore ? Que les lâches étaient des lâches.
Non Pierre Falardeau, je ne suis pas prêt à le mettre au tombeau. Pas avant que tous ceux qui lui ont craché dessus reconnaissent qu’il était grand et noble. Qu’il défendait la salutaire vérité, qu’il était homme de principe et de justice. Qu’il était la liberté des hommes enfin vécue par l’homme.
Malgré tout, je sais que même les étoiles meurent. Même celles qui ont l’éclat si pur de son intelligence. Et viendra ce moment pour moi de l’accepter. Mais ne puis-je avant parler de cet amour, cet immense amour qui le consumait et alimentait ses sublimes révoltes ? Cet amour des gens du peuple, cet amour des êtres de poésie, des enfants, des vieillards, des vieux amis, des femmes, de sa femme, de ses jeunes mais aussi de la jeunesse. Tout ce qui fait l’humanité en somme. Mais ne puis-je aussi parler de cet élan vers la beauté, cette fascination pour nos vieilles peintures, pour nos vieilles pierres mais également pour les grands paysages, nos sublimes paysages. Oui, il aimait ce pays mais pas juste comme pays, comme fragment de l’humanité à préserver.
J’ai dit à des journalistes qu’il était un humaniste. Ce n’est pas assez. Il était aussi une volonté, un homme responsable et qui à ce titre refuse aux autres l’irresponsabilité. C’est à chacun de nous de vaincre cette résistance à la liberté, c’est à chacun de nous de refuser la mort d’un peuple, d’une langue, d’une civilisation.
C’est à chacun d’entre nous de comprendre sa propre aliénation.
Dans son premier court métrage fiction, on voyait à la fin tous les personnages devenir des Elvis Gratton. Donc opérer eux-mêmes la destruction de leur culture, de leurs rêves bref, de leur être.
Maintenant, dans ce nouveau long métrage qui devra tous nous emmener vers la redécouverte de nous-mêmes, il nous reste tous à enlever ce masque et devenir ce que Pierre Falardeau a toujours été, un être libre, assoiffé de vérité, enragé d’espoir, avide de liberté.
Oui, « Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance ».
Et maintenant, je te parle à toi Falardeau. Puisqu’il faut bien que je te dise adieu. Comme tu as aimé, mais aimé. L’amour dans toutes ses composantes et ses formes. Oui le grand amour mais aussi la fraternité, la camaraderie et puis cet incroyable don pour cette variante toute simple : l’amitié. Pour l’avoir vécue mais surtout reçue, je ressens une gêne d’avoir à l’exposer ainsi. Disons simplement que tu nous manqueras, vieux. Tu nous manqueras terriblement.
Mais jamais ne s’éteindra la lampe, la lueur qui te guidait. Nous marchons vers elle nous aussi. Tu es avec nous. Nous sommes avec toi.
Nous t’aimons !
René Boulanger
Fontarabie, 26 septembre 2009




« Tout homme qui se tient debout
est le plus beau des monuments.»

Georges DOR, écrivain québécois
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